simen - boys don't cry

Le bonheur, il ne l'a plus connu depuis un an Simen, une année qui a passé à la vitesse d'un escargot. Chaque jour il se lève en se disant que tout ça n'est qu'un affreux cauchemar; mais ce n'est pas le cas. Souvent on lui dit que ça lui passera, que le temps lui permettra d'oublier, que ça effacera ses blessures, mais ça n'efface rien. Il erre comme une âme en peine. Bien sûr, il souffre un peu moins que trois cent soixante-cinq jours plus tôt, mais est-ce vraiment suffisant. Son bonheur, il l'évalue à trois sur dix. Il n'est pas complètement malheureux, chanceux d'avoir une petite soeur qui veille sur lui. Mais il a peur, peur de ne jamais aimer à nouveau. Son coeur est brisé, des morceaux qu'il ne tente même pas de recoller.

1 Trondheim, une après-midi de juin, le soleil pointait le bout de son nez quand un petit garçon sortait enfin du ventre de sa maman. Il fallait croire qu'il y était bien puisqu'il y est resté six jours de plus que prévu. Une maman impatiente de rencontrer son premier né, un papa déjà absent de par son métier de militaire, qu'il arrêtera pourtant seulement quatre ans plus tard. Simen voit le jour dans un foyer aimant, qui voit en son arrivée un petit miracle puisque ses parents espéraient depuis plusieurs années avoir un premier enfant. Il sera suivi trois ans plus tard par une adorable petite fille, Dora. Simen, c'est le fils à maman par excellence, il a tout de suite noué un lien très fort avec cette maman qui représente tout pour lui. Aujourd'hui encore, ses visites chez ses parents sont fréquentes. Pour Simen, la famille c'est sacré, même si dès ses premières semaines, la relation avec son père promet d'être explosive. 2 Durant son enfance, Simen était un petit garçon un peu secret, mais il avait un groupe d'amis très solide. Tous se serraient les coudes, toujours présents les uns pour les autres, le groupe était composé de quatre garçons et une fille. Aujourd'hui encore, ils se soutiennent, même si certains ont pris d'autres chemins. Il avait deux passions durant son enfance Simen: jouer dans la nature, et lire. Avec ses copains, ils passaient de longues heures dehors, préférant de loin leurs balades en vélo à des après-midis passées enfermé. Et puis surtout, il n'aimait pas l'école.  3 L'école, ça a souvent été le sujet de discorde à la maison. Dora était bien plus douée que lui, et ce dès leur plus jeune âge. Simen, c'était un touche-à-tout, il avait besoin de manipuler les choses pour les comprendre, besoin d'avoir un rapport à la nature que sa soeur ne comprenait pas. Et elle n'était pas la seule à ne pas comprendre, son père non plus ne comprenait pas. Lui, le militaire avec qui tout filait droit, il voyait que son fils n'était pas fait pour l'école, chose inconcevable à l'époque. Alors il criait, il hurlait même, allant parfois jusqu'à le pendre au mur. Mais rien n'y faisait, Simen était un rêveur, il ne vivait qu'à travers les livres qu'il dévorait. 4 Les livres, sa grande passion, une passion qui n'est pas allée en diminuant quand il a grandi. Ses lectures se sont affinées, il les partageait toujours avec sa maman. Plus il grandissait et moins il comprenait la relation de ses parents, cet homme si froid avec cette femme si douce. La glace et le feu. Mais au final, ils lui faisaient penser aux héros de ses livres. Ils échangeaient beaucoup avec sa maman, jusqu'au jour où il choisit ses études: il sera prof de littérature. 5 L'adolescence et ses troubles, des troubles auxquels on ne s'attend pas. Dans son groupe de copains, il y avait lui, il y avait les quatre garçons, et puis il y avait elle, Darla, une beauté à couper le souffle. Il n'avait jamais remarqué combien elle était belle, avant de le remarquer. Il avait dix-huit ans, le monde lui appartenait, il pouvait séduire qui il voulait dans sa fac, et finalement c'est sur sa copine d'enfance que son regard s'était posé. Il l'aimait Darla, mais son père ne voyait pas ça du même oeil. Darla avait eu une vie compliquée, un père junkie notoire et une mère qui n'avait pas supporté la vie avec lui. Ils avaient vécu dans un centre pour femmes battues avec sa mère et son frère. Le père de Simen ne voyait pas cette famille d'un bon oeil, et il n'avait peut-être pas tort au final...  6 La vie lui faisait de formidables cadeaux: non seulement il avait l'occasion de faire les études qui le passionnaient, mais en plus il les faisait avec Darla, Darla qui avait finalement pu se payer des études elle aussi, même si elle devait bosser sur le côté pour payer son cursus. Les années passaient, leur amour se renforçait, le petit frère de Darla avait fini par rejoindre leur groupe de copains et tout semblait normal. Mais Darla avait parfois des comportements étranges, des comportements qui inquiétaient Simen. 7 Remise des diplômes, Simen était le plus heureux du monde, sa soeur et sa mère étaient fières de lui, son père était davantage sur la réserve. Une relation tendue, comme elle l'avait toujours été entre eux. Simen était fier d'être devenu professeur, et il avait tout de suite trouvé un emploi dans la ville, pour rester proche des siens. 8 Il y a quatre ans, le frère de Darla vient le trouver, en lui disant que le comportement de sa soeur l'effraie de plus en plus. Elle peut être très joyeuse et la minute d'après, éclater en sanglots ou envoyer des vases à travers la pièce. Tout ça l'inquiète et il craint que ça ne lui crée des problèmes. Simen pense que ce n'est que du surmenage et ils partent en vacances tous les deux, loin de tout, espérant que ça se calmera. Et ça se calme, temporairement. 9 L'année dernière, c'était en décembre, Simen était dans sa salle de classe, corrigeant les derniers examens du trimestre, quand son téléphone s'est mit à sonner. C'était la police. Les mots qu'il a entendu ce jour-là, jamais il ne les oubliera. "Votre compagne s'est suicidée". Non, c'était impossible, jamais Darla ne se serait donnée la mort. Et pourtant, elle l'avait fait, à l'abri des regards, il n'était que huit heures du matin, il faisait encore terriblement sombre dehors, elle s'était jetée d'un pont, elle était atterrie dans l'eau glacée, elle n'avait laissé aucune chance à son corps de survivre. Anéanti, Simen n'a pas tenu le choc. Il a abandonné son métier, il s'est cloitré chez lui pendant des mois. Et son groupe d'amis se retrouve décimé par cette nouvelle.   10 Aujourd'hui, Simen s'est fait embauché comme agent de sécurité sur le campus. On ne peut pas vraiment dire que ça soit un métier de rêve, mais ça l'occupe, ça l'empêche de trop réfléchir et ça lui permet de payer ses factures. Peut-être qu'un jour il remettra les pieds au lycée, surtout depuis qu'un de ses potes a été nommé directeur, mais pour le moment, il pleure toujours la mort de celle qu'il aime depuis qu'il est gamin. Et il n'est pas sûr de s'en remettre un jour.