fernanda + reaching for the end of the light

UN Il est fort peu probable que quelqu’un parmis vous est eu vent de la catastrophe du 29 août 1996. Cela est bien normal, il s’agit d’un tragique coup du destin que les chaînes d’informations relatent en boucle, l’air grave, durant les premières semaines avant de finalement passer à autre chose d’un coup de générique. Ce funeste événement conditionne cependant l’avenir de notre petite Fernanda, alors âgée de 3 ans. En cette fin d’été, le vol 2801 de Vnukovo Airlines décolle de l’aéroport international Vnukovo de Moscou pour se rendre à Longyearbyen en Norvège. Un vol parmis tant d’autre en apparence, un avion de plus survolant l’Europe et ses paysages fascinants. Mais une série d’erreurs de la part du pilote entraînèrent le crash du charter. A 10h22, sans que rien ne puisse y remédier, l’avion entrait en collision avec la montagne Operafjellet, ne laissant aucun survivant. 141 personnes trouvèrent la mort dans la froide montagne, perdue dans cet “Opéra”, ainsi qu’est surnommé le géant de pierre ainsi en raison de sa ressemblance à un amphithéâtre. Au moins à l’opéra lorsque le rideau se referme les morts reviennent à la vie, point de désespoir, point de fatalité, la tragédie prend fin. Pour Fernanda, elle venait seulement de commencer. Car parmis les 141 victimes du crash se trouvaient ses parents, qui s’étaient alors octroyés quelques jours de vacances dans la capitale Russe. Jeune orpheline ne comprenant guère que son monde venait de s’effondrer, elle fut alors recueillie par sa grand-mère maternelle qui lui donna tout l’amour qu’un père et une mère aurait du donner, et bien plus encore. DEUX Drôle de personnage que la grand-mère Pedersdotter. Allure fragile, peau blanche comme neige tachetée de ces marques brunes que laisse le temps sur nos épidermes, elle reflète bien des clichés que l’on a sûr les sorcières et leur aura mystique. Inquiétante mais fascinante, semblant sans défense mais si puissante. Une force psychique et métaphysique, transcendantale. Medea de son prénom. Un choix bien curieux pour quiconque possède quelques rudiments de mythologies grecques. Mais évident pour la lignée Pedersdotter, se transmettant de génération en génération leurs connaissances de magie verte et d’art divinatoire. Car Médée, avant d’être la mère infanticide, c’est étymologiquement méditer, comprendre, concevoir. Et sans conteste Medea fut parmis les femmes les plus intelligentes de la dynastie. Glyphes et macérats n’avaient aucuns secrets pour elle. Bien que sa bibliothèque débordait de livres, son esprit ruisselant de connaissances n’avait nul besoin d’y avoir recours. Sa petite maison sentait toujours bon l’encens, ses cheveux étaient toujours impeccablement noués en un haut chignon tressé, et aucun grains de poussière n’osait pointer le bout de son nez sur ses étagères. Fernanda adorait sa grand-mère et passait le plus clair de son temps dans les jupes de la vieille femme, buvant ses paroles, engrangeant toutes ses connaissances sur les sciences occultes. Spécialiste de la magie ayant recours aux plantes et animaux, à des fins médicales et divinatoire, Medea lui transmit avec passion et douceur tout son savoir. Chamane, elle lui communiqua également la faculté de se connecter avec les esprits des animaux, d’accepter ses perceptions extrasensorielles, de déceler les messages métempiriques de la nature. Elève studieuse et zélé, Fernanda se nourrit de ce débordement de sagesse, pour aller même bien au delà. Si la famille maîtrise depuis toujours la magie verte, la demoiselle s’est prit de passion pour la magie rouge, et développe dorénavant ses facultés dans ces rituels destinés à l’amour, au sexe et à l’affect. TROIS Elle avait bien souvent l’allure débraillée, des coupes de cheveux étrangement structurées, toujours flanquée avec cette vieille femme qu’était sa grand-mère, être mystérieux et angoissant pour les enfants -et parfois pour leurs parents également. Pourtant elle ne fut jamais reléguée au rang des parias de la cours de récré. Son éternel bonhomie ainsi que sa face malicieuse et espiègle faisait instantanément de Fernanda l’amie que l’on souhaitait avoir à ses côtés, le petit bout de femme qui va pimenter votre journée. Elle était à tous les goûters d’anniversaires, inviter à tous les voyages durant les vacances, toujours cheffe d’équipe des cours de sport. Plus âgée, aucune soirée ne se déroulait si elle n’y était pas, aucune sortie n’avait réellement de saveurs si sa petite touche de fantaisie ne pointait pas le bout de son nez. Elle avait plein d’amis la Fernanda, une vie sociale bien chargée, bien remplie. Et elle aimait ça. Elle aimait être le centre de l’attention, se savoir à ce point aimer, désirer même. Elle savourait ces moments, les chérissait comme des trésors. Rien ne lui faisait plus plaisir que de savoir que sans elle, rien n’était réellement intéressant aux yeux des autres. Mais tout ces gens, toutes ces fêtes, ce n’était rien de profond, rien de puissant. C’était une foule, qui allait et venait. Un joyeux brouhaha fait de paillettes, de musique et d’alcool. Mais non, ce n’était rien d’important. Car ce qui comptait aux yeux de notre Fernanda, c’était Nami. Une petite blonde qui ne lui ressemblait en rien, une poupée discrète à qui elle se lia instantanément. Si aujourd’hui l’antagonisme entre les deux femmes reste plus vrai que jamais, leur amitié infaillible l’est tout autant. Au vue de leur choix de vie, de leur caractère, d’aucuns auraient pensés que les deux norvégiennes se seraient depuis bien longtemp perdues de vue, avec les années si ce n’était pas une histoire sordide qui les auraient éloignées. Mais non, leur harmonie perdure, toujours aussi fusionnelles. QUATRE Pour l’intenable et infatigable Fernanda, il ne sert à rien de penser, de dire, de croire, si les actions n’illustrent pas tous ces beaux discours. Ainsi dès qu’elle le pu elle s’engagea dans diverses associations : LGBTQI+, écologie, véganisme, féminisme, en aide aux SDF, éducation des jeunes filles… Son tempérament de feu et sa personnalité originale et mystique se confronta bien souvent à la dure réalité du milieu militant. Aujourd’hui, elle a tourné le dos à bons nombres de ces assemblées, des conflits personnels avec des membres du bureaux étant bien souvent la cause de ce détournement. Mais toujours fermement déterminée à défendre ses valeurs coûte que coûte, elle créa sa propre association éco-féministe nommée Calypso. Calypso, comme la célèbre nymphe véritable force des eaux. Calypso, celle qui couvre, qui enveloppe. Calypso, qui se perdit par amour d’un homme. Une bonne représentation de la femme qui se perd à vouloir protéger tout ceux qui l’entoure, à porter le poids du monde sur son épaule. De la femme qui ne se voit vivre sans un homme à ses côtés, sans un être masculin conférant un but à sa vie. Une bonne représentation de la femme, vraie force de la nature, esclavagée. Calypso, comme le calypso bulbosa, orchidée des régions boréales. Fleur délicate, pourpre et blanche, vivant dans l’ombre et le froid. Mais très sensible aux moindres perturbations et classée parmi les espèces menacées ou en voie d’extinction, disparaissant lentement dans l’indifférence la plus totale. Métaphore d’une femme capable de résister à tant d’épreuves, à se tenir dans l’ombre depuis tant d’années, mais qui commence à plier face à la vie.  CINQ A la mort de sa grand-mère, Fernanda perd bien plus qu’un être cher. Elle perd un guide spirituel, un modèle, un pilier. Elle perd la lumière qui éclairait ses jours les plus sombres, et voit disparaître un individu qu’elle s’imaginait innocemment éternel. Désorientée, ne sachant que faire de sa pauvre personne, elle décida alors de partir en quête spirituelle. L’auteure a pleinement conscience du cliché de la jeune bobo hippie dans lequel tombe Fernanda. Mais comprenez vous notre demoiselle a beau être une sorte de sorcière en marge de la société, elle n’en reste pas moins connectée à Insta et autres réseaux. Elle n’en reste pas moins une jeune femme pleine de rêves, qui vient de voir s’effondrer sa vie. Elle se réfugie donc dans un des stéréotypes qui s’offre à elle. Elle choisit celui de la petite blanche sauvant le monde, croyant en la force de la méditation et des mantras. Fernanda fourra donc ses objets les plus précieux sentimentalement dans un gros sac de voyage, vendit la maison familiale et se paya un billet d’avion pour le Népal. S’ensuivit des années de voyages en Asie, Afrique et Amérique du Sud. Heureusement pour elle -et je suppose pour vous cher lecteur- elle finit par se déconstruire et se rendre compte de l’envers du décors de tout ce “white savior complex”. Au fil de ses rencontres et ses échanges, elle devint une femme plus sûre d’elle, plus déterminée, mais plus calme aussi. Pour autant, toujours férue croyante des forces occultes.  SIX Périple terminé, passeport rangé, valise refermée. Après avoir joué les baroudeuses à la Sydney Fox, Fernanda ne se voyait pas s’installer autre part qu’à Trondheim. Terre magique et sacré de ses ancêtres, il était temps pour elle de faire perdurer l’héritage. Terre de souvenirs et de bonheurs partagés avec cette grand-mère si aimante, aussi allumée soit elle. La petite bicoque familiale tenait toujours debout et avait au final assez peu changé malgré quelques rénovations effectuées par le nouveau propriétaire. Avec ses économies à sec après toutes ses aventures à travers le globe, la jeune femme ne pouvait se permettre de racheter la maison de sa grand-mère, aussi elle en devint la simple locataire. Elle reprit bien vite ses habitudes, très peu de choses ayant changer dans la ville en son absence. La vie tranquille de Trondheim semblait immuable, figée, si ce n’est le nouveau quartier qui avait poussé et remplacé les champs en friche qui longeaient l’arrière du jardin. Si ce nouveau voisinage ennuya profondément Fernanda au premier abord, la vue d’une sublime brune vivant dans une maison mitoyenne à la sienne lui fit vite découvrir les joies de la vie en communauté rapprochée. Cette jolie femme à la chevelure couleur corbeau s’avérait être tatoueuse et bientôt elle recouvra le corps de Fernanda de son encre, puis de ses lèvres. C’est par elle que notre demoiselle apprit le tatouage et créa son propre shop privé. C’est aussi par elle qu’elle apprit la douleur du coeur brisé, que même la plus puissante de ses potions ne pouvait réparer. SEPT Elles étaient telles Orphée et Eurydice, Achille et Patrocle, Antigone et Hémon… Des amours puissants, exaltants, à couper le souffle. Des amours à en mourir. Des amours morts, des coeurs en lambeaux. Cliché, surfait me direz-vous ? Peut-être bien que l’auteur se laisse aller ici, et soit victime de quelques sensibleries. Ou peut-être tentez de vous figurer notre Fernanda vivant les choses si intensément, avec toute son âme et tout son corps. Figurez-vous là amoureuse pour la première fois, découvrant ces papillons dans le bas ventre, ces joues chaudes malgré le froid norvégien, cet égarement de l’esprit que rien ne peut contrer. Imaginez un instant la demoiselle, emplie de douces croyances sur l’amour et la Magie Rouge, rencontrer enfin l’être qui, à n’en pas douter, lui est destiné jusqu’à son trépas. Imaginez la vivre un an de bonheur intense, évoluant innocemment dans un cocon ouaté de rires de partages, de sexe, d’amour. Et puis plus rien. Tout s’effondre, plus de magie, plus de cocon. Tel le couples maudits de la mythologie, un antagoniste se dresse face à notre duo, qui n’y survivra pas. Ici, point d’incarnation charnelle de l’adversité. Pas de grands méchants, de Dieux ou de sorcières au nez crochus. Juste une fissure, devenue brèche, puis trou béant, impossible à combler. Car Fernanda a toujours été très honnête sur son polyamour. Et sa belle n’y voyait aucun inconvénient dans un premier temps, voulant tenter l’aventure. Car elle l’aimait, elle l’aimait tellement. Elle pouvait bien dépasser cela, non ? Il s’avéra que non, elle ne le pouvait pas. Alors elle prit ses cliques et ses claques, le coeur bousillé de Fernanda au passage, et laissa la demoiselle dans le désarroi le plus total, cherchant à calmer sa peine par quelques pouvoirs cristallins. HUIT Comment passer à côté de Jafar et Iago, Maléfique et Diablo, Ursula et Flotsam et Jetsam (Yzma et … Kronk ?). Dans l’imaginaire collectif, un puissant sorcier ne peut se passer d’un fidèle acolyte, un familier le guidant avec (plus ou moins) d’habilité et de fidélité. Longtemps ce partenaire spirituel manqua à Fernanda, qui rêvait du jour où elle rencontrerait un petit animal aux facultés décuplées. Enfant, elle errait en vain dans les forêts, espérant qu’un aigle majestueux ou un énigmatique loup ne croise son chemin pour établir une connexion spirituelle indescriptible. Mais elle se retrouva jeune adulte sans avoir croiser d’animal aux propriétés psychiques particulières. C’est complètement désabusée qu’elle finit par trouver ce lien d’amour, de confiance et de soutien, un jour de grande pluie. Une petite grenouille d’un étonnant vert pomme tachetée de jaune avait fait irruption sur le carrelage de sa cuisine, et depuis les deux êtres ne s’étaient plus quittés. Une entente spirituelle parfaite existe entre la jeune femme et le batracien, répondant au nom de Gliss. Le petit familier remplit son rôle à la perfection, vrai partenaire magique de la jeune femme dans la moindre de ses mésaventures ésotériques. NEUF Des rires à peine masqués, des regards en coin, un doigt qui se pointe ou un changement de trottoir. Ou bien un sourire timide, des allées et venue devant le shop sans oser passer le pas de la porte, des tentatives d’approches au supermarché, l’air de rien. Entraînant jugement, moqueries ou curiosité, la vie de sorcière pleinement assumée de notre demoiselle ne laisse personne indifférent. Bien souvent les individus sont septiques et préfèrent laisser cette illuminée dans son coin à jouer avec ses cailloux. Les plus mauvais esprits, probablement la lignée parfaite des inquisiteurs d’un autre siècle, lui mènent la vie dure en s’adonnant à de petites bassesses bien puériles. Fort heureusement, notre Fernanda n’est pas du genre à s’arrêter à cela, et la saine curiosité voir le total soutien d’une grande partie de la population lui permet de vivre pleinement et sereinement avec sa magie et son ésotérisme.  DIX aime les musées, le fromage, jardiner, les longues séances de lectures au coin du feu, assister à des conférences un peu partout dans le monde, les cristaux, accumuler les bijoux en particulier les bagues, discuter tatouages avec à peu près n’importe qui, méditer, bricoler en particulier des cadres pour le moins originaux pour ses illustrations, apprend actuellement la couture, fais régulièrement de la course à pied et s’est donné le défi de réaliser un marathon prochainement, déteste l’odeur du vin chaud, qu’on lui coupe la parole, qu’on lui touche les cheveux, les sourires hypocrites, les lieux trop bruyants, avoir le sentiment d’oublier quelque chose -oui, mais quoi ?- la  naïveté et l'oisiveté.