need you now - topic libre

Jørn était revenu en ville depuis plusieurs mois maintenant. Il avait du mal à se dire que ça faisait déjà trois mois qu’il était de retour à Trondheim, trois mois qu’il avait appris la vérité sur son ancienne fiancée, sur la perte de leur bébé, et tous ses espoirs étaient tombés, s’était brisés en des milliers de miettes quand il s’était rendu compte qu’il n’était pas un père, qu’il avait quitté l’Italie une deuxième fois pour rejoindre un fantôme. Mais il savait aussi que ce n’était pas une mauvaise chose, qu’il était une bien meilleure personne quand il était ici, à Trondheim. Allez savoir pourquoi mais la Norvège avait un effet apaisant sur lui. La seule chose dont il rêvait aujourd’hui, c’était de vivre une vie tranquille, loin de la mafia italienne, loin de la famille qui l’avait tiré vers le fond. Il avait besoin de nouvelles racines, de nouvelles amitiés, de nouvelles connaissances, mais il fallait bien avouer que les dernières nouvelles l’avaient tellement attristé qu’il s’était renfermé, se contentant de se rendre à la caserne pour son service et de rentrer chez lui ensuite. Il ne sortait pas, ne se rendait pas dans les bars car il n’avait jamais été intéressé par ce genre de sorties. Parfois il allait se promener, que ça soit le long de la plage ou dans la forêt.
Lui qui avait été habitué au climat italien et méditerranéen, il devait bien reconnaitre que le froid glacial de la Norvège l’avait surpris lors de son retour, mais la beauté des aurores boréales et la douceur des gens avaient eu raison de lui. Jørn était dorénavant acclimaté à son pays de cœur, et il ne se voyait plus le quitter. Mais il avait encore beaucoup de choses à régler, comme sa relation avec sa sœur.

Le jeune homme avait décidé de se réveiller tôt ce matin. Il ne travaillait pas avant le service de quatorze heures mais il voulait aller faire une promenade de bon matin, avant d’aller avaler un café bien chaud dans l’un de ces petits cafés en ville. Il commençait à avoir ses habitudes, les coins dans lesquels il aimait se rendre, il les avait surtout retenus de l’époque où il vivait ici avec Roxane.
Jørn avait envie de profiter de ce froid revigorant, qui vous mettait en forme pour la journée. Après une douche rapide, il se dit qu’il en aurait besoin d’une autre en rentrant de sa promenade. Il enfila des vêtements chauds et confortables et sortit, un bonnet enfoncé sur la tête. En Norvège, ridicule ou pas, le bonnet est une étape incontournable.
Alors qu’il se promenait le long de la plage de Lade, il fut surpris par des cris, qui ressemblaient à des cris de douleur. Une personne était allongée au sol, à quelques dizaines de mètres de lui. Il s’avança, en faisant attention à ne pas glisser, puis se pencha sur la jeune femme. Elle devait avoir glissé, mais la plaie était ouverte, et ce n’était pas beau à voir. Il croisa le regard d’une personne et demanda :

Hé ! Vous avez un téléphone ? On a besoin d’une ambulance ici !

Jørn n‘était que pompier, pas secouriste, il était bien incapable de faire ce qu’il fallait dans pareille situation, à part éviter de bouger la jambe où se trouvait la blessure.

Ae-Sin se faisait petit à petit à cette vie, elle n’était nullement gênée par le froid qu’elle avait toujours apprécié. Elle aimait serrer sa tasse de thé en regardant dehors les flocons se déposer délicatement sur le sol. Les petits plaisirs de la vie en outre. Pour une personne toujours en proie à une mélancolie tenace et qui pouvait mener à des pensées bien sombres : cela était salvateur. Tellement essentiel. Parce que ces petites choses insignifiantes la ramenaient sur terre et lui permettait de garder la tête hors de l’eau. Aujourd’hui, elle avait un jour de repos et elle était bien décidée à aller à la bibliothèque de la ville pour se poser dans un coin et profiter du calme pour jouer à WOW qu’elle avait redécouvert grâce à la réédition. Elle ne faisait pas de mal à personne et pas de bruit : préférant sortir sa langue et lever ses bras au ciel victorieusement quand elle réussissait une importante mission. Étrangement aujourd’hui, elle s’était réveillée de bonne humeur. Aucune petite voix triste pour la tirer vers le bas, pour la dénigrer, rien. Juste le silence et la promesse que la journée à venir n’allait pas être si terrible. Son thermos de thé prêt ainsi que ses sandwichs à la pâte à tartiner vegan dans son sac près de son ordinateur, souris et casque : elle s’équipa pour le grand froid et sortit en refermant soigneusement la porte de chez elle.
Décidant de faire un détour par la plage, elle se dirigea vers cette dernière : les mains dans les poches et la tête haute pour bien regarder tout ce qui l’entourait. Le médecin de famille lui avait dit que marcher ouvrait ses sens et lui permettrait d’aller mieux et même si elle n’avait pas forcément le temps tous les jours : elle faisait son possible pour se tirer hors de son appartement douillet. Elle était perdue dans ses pensées quand elle entendit quelqu’un l’alpaguer. Elle se tourna, pointa le dos vers sa personne comme pour confirmer avant de s’approcher en sortant déjà son portable. Son norvégien n’était pas très bon, mais elle faisait des progrès.

“Vous parlez anglais ?” Demanda-t-elle avec un petit espoir. Elle regarda la jeune femme inconsciente et la plaie de sa jambe. Elle tendit son portable à l’homme : “Vous pouvez appeler ? Je ne sais pas très bien parler votre langue.” Dit-elle en anglais en espérant qu’il comprenne. Elle enleva son écharpe et la glissa sous la jambe pour faire un garrot. Elle avait déjà vu sa grand-mère s’occuper des blessures des voisins avant que les secours arrivent.

Les urgences, l’adrénaline, le fait que la vie de quelqu’un dépende de sa faculté d’adaptation et de rapidité, Jørn avait toujours adoré cette sensation. Lorsqu’il vivait encore en Italie et qu’il travaillait pour la mafia, il avait bien souvent fait des choses dont il n’était pas du tout fier, des choses qui l’avaient entrainé dans les noirceurs de son âme. Mais aujourd’hui, il était bien décidé à se racheter une conduite, à devenir un homme bon, un homme sérieux, le genre d’homme qu’on pouvait être fier de connaitre ou de fréquenter. En arrivant à Trondheim, il avait cru qu’il vivrait une vie plus douce, qu’il aurait la chance de connaitre son enfant, mais le destin, et le karma, en avaient décidé autrement. Aujourd’hui, il vivait une vie différente, un homme célibataire dans une ville qu’il ne maitrisait pas encore totalement, un homme qui avait perdu tous repères mais qui essayait de changer. Et changer, ce n’était pas simple, mais son métier de pompier, c’était devenu son point de repère. Il adorait ce job, il adorait sauver des vies, il adorait ressentir cette poussé d’adrénaline quand il rentrait dans un bâtiment en flammes sans savoir s’il allait être capable d’en sortir.
Et puis, il avait vu cette femme allongée sur le sol, la jambe en sang, une blessure ouverte qui paraissait vachement impressionnante. Il savait qu’il devait stabiliser la fracture avant que les secouristes ne le rejoignent, et que le trajet pouvait durer un certain temps car il avait beaucoup neigé dernièrement, et les plaques de verglas au sol rendaient les trajets bien compliqués.

Pour le moment, il devait stabiliser la blessure et il ne devait surtout pas lâcher la jeune femme d’un regard. Mais alors qu’il se demandait comment faire pour maintenir sa blessure tout en appelant les secours, il remarqua une jeune femme dans la rue, et il l’interpella pour qu’elle appelle les secours. Tout de suite, elle lui demanda s’il parlait anglais et Jørn lui répondit avec assurance.

Oui oui, je parle anglais.

La jeune asiatique lui demanda s’il pouvait passer le coup de fil lui-même, puisqu’elle ne maitrisait pas le norvégien, et il accepta à contrecœur, ne voulant pas lâcher la patiente. Mais apparemment, la jeune femme maitrisait au moins l’art du garrot, ce qui lui ferait gagner un peu de temps. Jørn s’empara du téléphone de la jeune femme et composa le numéro de l’ambulance norvégienne. Il tomba rapidement sur une voix qu’il ne connaissait pas, une voix d’homme, et il expliqua la situation avec tous les détails dont il avait connaissance.
La patiente n’avait pas pu lui en donner beaucoup, sinon qu’elle avait glissé sur du verglas, qu’elle souffrait beaucoup et qu’elle avait peu à peu l’impression que sa jambe refroidissait et qu’elle la sentait de moins en moins. Inquiétant, mais impossible de savoir si c’était le froid environnant ou sa blessure qui provoquait ça.

Comment avez-vous appris à faire un bon garrot ?

Jørn était automatiquement passé par la langue anglaise, afin de simplifier la communication avec la jeune femme. Il se permit tout de même de rajouter envers la patiente, qui devenait de plus en plus blanche :

Ne vous inquiétez pas, les secours vont arriver. Vous devez rester avec moi, restez consciente.

Il serrait la main de la femme allongée sur le sol, en espérant que les secours ne mettraient pas trop de temps à arriver.

Flâner dans les rues de Trondheim en Hiver, si on lui avait dit il y a quelques années qu’elle serait dans cette ville : elle aurait rit au nez de la personne. La voilà pourtant. Dans ce pays qu’elle ne connaît pas, entouré de personnes qui ne parlent pas une langue qu’elle connaît. Elle ne se plaignait pas pour autant. Ce genre d’aventures était salvatrice pour une personne déprimée comme elle et qui est toujours en proie à la mélancolie. Elle ne s’attendait cependant pas à faire la rencontre de cet homme, ni à aider une personne qui avait besoin de premier soin. S’approchant des deux individus, elle remarqua rapidement le sang et le fait que la personne était à peine consciente. Ae-Sin fut soulagée en entendant que l’homme qui l’a alpagué parlait anglais. Au moins, elle ne se sentait pas idiote et ils pourraient communiquer pour tenter de porter secours à cette malheureuse. Parce qu’elle n’était pas en mesure de parler Norvégien, elle lui tendit son portable pour qu’il appelle les secours. En échange, Ae-Sin prit la relève pour faire un garrot : empêchant ainsi le sang de couler un peu plus. Elle écouta d’une oreille la conversation tout en s’assurant qu’elle avait bien serré comme il fallait son écharpe autour de la jambe. Elle releva sa tête et regarda l’homme quand il lui demanda comment elle savait faire un garrot :

“Ma grand-mère avait prit l’habitude de soigner les enfants du quartier. Un jour, mon ami est tombé sur des palettes de livraisons dans le restaurant de son père. Il avait un gros morceau de bois coincé dans sa jambe. Je suis allée la chercher et elle m’a montré comment faire les premiers secours. Croyez-moi, ça vous marque, assez pour ne jamais oublier que ça peut sauver une vie. Mais, je lui suis redevable car elle m’a beaucoup appris.”

Ae-Sin fit le tour pour se mettre de l’autre côté. Le sang ne provoquait jamais chez elle de malaise fort heureusement. Elle enleva son manteau - ayant plusieurs épaisseurs et n’étant pas frileuse pour deux sous - pour le poser sur le corps de la malheureuse. En règle générale, elle mettait toujours plusieurs couches de vêtements pour cacher sa maigreur qui pouvait parfois être alarmante. Comme en ce moment. Aujourd’hui, elle se félicitait de cette habitude.

“Ca va aller, on ne va pas vous laisser seule.” Dit-elle en anglais, en souriant tout en attrapant sa main pour la serrer. Voyant que la blessée tremblait un peu plus, elle enleva ses gants pour les enfiler aux mains de la jeune femme. Elle devait rester au chaud par tous les moyens. “Ils ont dit dans combien de temps, ils allaient venir ?” Le temps jouait en leur défaveur et il allait falloir trouver d’autres solutions pour la garder au chaud le temps que les secours arrivent.

Jørn n’était pas du genre à se stresser facilement. Au contraire, il aimait l’adrénaline, mais il n’était pas secouriste. Son métier, c’était de sauver la veuve et l’orphelin, de tirer des accidentés de leur véhicule, de sortir des personnes de leur maison en feu, de faire redescendre des chats coincés sur une toiture instable, mais ce n’était pas soigner une blessure, une plaie ouverte de laquelle on pouvait voir les os.
Il ne se sentait pas à l’aise dans ce genre de situation, et ce même s’il se rendait parfaitement compte qu’il allait pouvoir aider la jeune blessée pendant quelques temps, mais il savait aussi que la météo était particulièrement instable et qu’il y avait de trop grands risques que quelque chose tourne mal. Quand il avait vu la jeune femme asiatique arriver dans sa direction et lui tendre son téléphone portable, il avait vite compris que la jeune femme ne maitrisait pas très bien la langue norvégienne, mais ce n’était pas bien grave car il pouvait s’en occuper.
Evidemment, il redoutait au début de lui laisser la blessée mais finalement, elle l’étonna beaucoup tant ses gestes semblaient délicats mais fermes en même temps. Elle savait ce qu’elle faisait. Alors pendant qu’il passait un coup de fil aux secours, la jeune femme en profita pour faire un garrot à la blessée, qui semblait souffrir le martyre. Vu la plaie, ça ne l’étonnait pas du tout.

Une fois son téléphone raccroché, Jørn le rendit à la jeune femme qui les avait rejoints et il s’interrogea sur les connaissances en sauvetage de son alliée. Visiblement, sa grand-mère lui avait montré les ficelles du métier et il fallait reconnaitre qu’elle semblait savoir ce qu’elle faisait. Jørn aurait probablement été capable d’en faire autant, mais son aide était la bienvenue. Il y avait plus de bonnes idées dans deux têtes que dans une seule.

Je comprends parfaitement. C’est bien que vous ayez retenu ce que votre grand-mère vous a enseigné. C’est un véritable atout dans la vie de tous les jours.

Il observa ses gestes, qui n’étaient pas hésitants. Elle savait ce qu’elle faisait, elle n’avait pas peur de faire ce qu’il fallait, et c’était plutôt bon signe. Jørn sourit légèrement, il reprit la main en tendant son téléphone à la jeune femme, avant de reprendre la parole.

Vous avez déjà pensé à travailler comme infirmière ? Vous avez de l’avenir dans cette voie !

Il sourit légèrement avant de s’occuper de la patiente, ôtant sa veste pour la déposer sous sa cuisse. Il n’avait pas envie de laisser la patiente seule, et il n’avait évidemment rien d’autre avec lui qui pourrait l’aider. Jørn jeta un coup d’œil à sa montre quand il entendit la jeune femme asiatique dire à la patiente que tout irait bien, en anglais. Lui se contenta de lui traduire ces quelques mots, et la patiente tentait de garder son calme mais on pouvait lire la terreur dans ses yeux.
Quand la jeune femme lui demanda dans combien de temps les secours devraient être là, Jørn répondit vaguement, tout en essayant de rester concis :

Normalement ils mettent six minutes pour arriver ici, mais les routes sont glissantes, ils mettront sans doute plus de temps.

Jørn espérait que non, mais il ne doutait pas que ça allait être compliqué pour eux de venir jusqu’à la plage. Se disant que le temps devait paraitre long, Jørn tenta de faire la conversation avec les deux jeunes femmes. Il s’adressa d’abord à la patiente en lui demandant son prénom. Elle s’appelait Madeleine. Puis il s’adressa en anglais à son alliée :

Et vous, vous vous appelez comment ?

Autant papoter, ça aiderait la patiente à rester consciente, ce qui était indispensable.