200g de chocolat

La période tant redoutée des fêtes de fin d’année venait à peine de s’achever, laissant s’évaporer le goût amer de la solitude, que déjà le tapage de la Saint Valentin arrivait. Avec son flot de chocolat, d’amour suintant, de roses bourrées de pesticides et autres gracieusetés. Serait ce une pointe de jalousie que vous décelez là ? Oui, il faut bien l’admettre. Notre Fernanda, personne joviale et espiègle en tout point, a, il faut le reconnaître, un peu plus de mal à vivre la période de décembre et son traditionnel Noël, ainsi que le ramdam dégoulinant de la Saint Valentin. Famille décédée, amour perdu, elle n’est pas vraiment la candidate idéale pour vivre avec effervescence tous ces petits moments qui font battre les coeurs. Si l’on ajoute à cela le caractère profondément consumériste de toutes ces débauches, vous comprenez aisément qu’elle ne se réjouisse guère face à ces entourloupes qu’on nous sert les unes après les autres. Tiens, ton calendrier de l’avent est fini ? Voici une boîte de Lindt au pied du sapin ! Tu as tout mangé ? Ne t’inquiète donc pas, la galette est là ! Que fais tu ce week-end ? Allez, viens j’ai fais des crêpes ! Oh mais dis donc, c’est déjà la Saint Valentin ! Et que vois je ? Ne serait ce pas un oeuf de Pâque caché au loin ?

Non, il était clair qu’elle ne faisait pas partie de cette foule sans visage et sans nom, masse indistincte et réjouie, qui participait avec frénésie à toutes ces réjouissances. Cependant s’il y a bien une chose auquelle la demoiselle ne pouvait échapper et cédait comme tout le monde, bien malgré elle, c’était à l’appel du chocolat. Le marché du cacao n’est clairement pas le plus écologique, encore moins le plus éthique quand l’on creuse ne serait qu’un peu sur la condition de vie des travailleurs. Mais cette fève, ainsi que celle du café, sont ses deux points faibles. Plaisirs coupables, quelque peu honteuse de ce petit privilège de blanc né dans le bon pays, elle n’hésite pas à mettre le prix pour dénicher la perle rare et payer le produit de source la plus équitable possible. Mais équitable ou non, le résultat n’en reste pas moins le même : Fernanda est une grosse gourmande de chocolat.

Et, en tant que grosse gourmande, quand notre demoiselle passe par hasard devant la boulangerie auquelle elle avait l’habitude de s’arrêter avec sa grand-mère, pour observer avec délice de magnifiques tartes aux chocolats elle ne su résister à la tentation. Leur jolie couleur marron brillait telle les yeux de merlans frits d’un amant éconduit, ce qui était bien trop pour le coeur de notre Norvégienne, qui poussa donc la porte de l’établissement conquise et sûre d’elle.

La petite boutique avait bien changé depuis sa dernière visite. Les couleurs chatoyantes des murs illuminaient le lieu, qui laissaient courir de tout leur long des étagères regorgeants de succulentes compositions sucrées et petits pains. Grande nouveauté, et probablement un atout de cette petite boulangerie face à la nombreuse concurrence, en ce petit salé de dégustation tout  fait charmant qui se tenait bien sagement auprès de la magnifique cheminée, visiblement rénovée elle aussi aux souvenirs qu’en avait Fernanda. En apercevant la vendeuse derrière sa caisse, la jeune femme nota qu’il n’y avait pas que la boutique qui avait prit un coup de jeune. Un petit pincement au coeur se fit ressentir dans sa poitrine. Ce petit sentiment de nostalgie, de mélancolie, à la vue du temps qui passe. Cette petite amertume de retrouver un élément de son passé, mais qui a tellement changé que sa saveur en est toute chamboulée.

Ce n’était certainement pas cette maussaderie qui allait stopper net notre Fernanda dans sa quête du graal chocolaté, aussi se dirigea t’elle vers le comptoir et demanda sa fameuse tarte au chocolat. L’âtre rougeoyant et crépitant hypnotisait et fini de la convaincre. Oui sur place s’il vous plaît. Avec un cappuccino. Elle n’était pas de ceux qui vivaient dans le passé et rabâchaient à qui voulaient l’entendre “c’était mieux avant”. Aussi elle laissa toute sa chance à cette nouvelle boulangerie et décida de la tester à fond. Pour faire plus simple, elle céda juste à sa gourmandise et son envie de flemmarder au coin du feu.

En attendant sa commande elle se permit de dévisager la jeune serveuse. Quelque chose dans son visage -à moins que ce ne soit dans son aura ?- lui rappelait l’ancienne propriétaire des lieux. Une jeune femme charmante, avec qui sa grand-mère et elle passait de longues matinées à converser alors qu’elles n’étaient sorties s’acheter que du pain en théorie. La petite Fernanda d'antan adorait cette femme qu’elle associait à l’odeur de la  baguette sortant du four et aux pains aux chocolats laissant les doigts bien gras et le ventre bien heureux. Cette douceur se retrouvant dans les traits de la nouvelle venue la poussa à oser demander :

“Excusez-moi, vous savez ce qu’est devenue l’ancienne propriétaire ?”

( Pando )