Il n'y a jamais de coïncidence. // Eira

La confrontation avec Aaron avait laissé Ruth dans un état pitoyable, encore aujourd’hui, elle ne savait pas quoi penser de tout cela. Elle aimerait que les réponses à ses questions soient sous son nez : qu’elle n’est plus qu’à tendre les mains pour les attraper, mais cela serait trop beau pour être vrai. Elle devait malheureusement chercher ces dernières par elle-même. Si seulement aujourd’hui elle pouvait rester chez elle, se terrer sous sa couette et rester ainsi à attendre que son heure arrive, mais non. Une de ses clientes au salon l’avait mise en contact avec une journaliste. Elle ne lui avait pas précisé pour quel journal, juste qu’elle cherchait des personnes avec un destin hors du commun et que du coup Ruth semblait être la parfaite candidate. L’ancien militaire avait accepté suite aux conseils de son psychologue. Elle ne savait pas trop en réalité à quoi s’attendre : juste au pire comme toujours. Elle avait un peu de temps avant le rendez-vous, alors, elle est allée au supermarché du coin pour acheter de la nourriture à Odin : elle avait peur que le chiot manque de tout. Elle savait déjà qu’elle allait le retrouver tout affolée dans un coin de la pièce. La peur de l’abandon ? Elle connaissait ça. Le vétérinaire l’avait jugé en bonne santé fort heureusement : il l’avait juste mis à jours dans ses vaccins et pucé. Au final, cet ami canin lui faisait un bien fou. Elle avait été la première surprise d’ailleurs : elle ne s’attendait vraiment pas à une telle osmose avec un animal. C’est donc avec trois kilos de croquettes recommandés par le véto ainsi que quelques accessoires dans un sac en papier qu’elle sortit du magasin. Cependant, à peine sortie que le portique de sécurité se mit à sonner. Soufflant longuement, elle dus expliquer à la sécurité que c’était sa prothèse, mais rien n’y faisait. Non seulement elle du vider son sac, ses poches mais en plus enlever sa prothèse car elle bipait toujours. Elle dut donc sous les yeux de le monde enlever sa jambe : le rouge aux joues et les dents serrés. Les excuses des agents ne mirent pas de baume à son cœur. Écoeurée, elle ne pouvait même pas remettre puisque pour cela elle devait enlever son pantalon. Confus et désolé, le manager du magasin lui appela un taxi et l’aida à porter ses courses. Ce qui ne fit que mettre de l’huile sur le feu. Non seulement elle se sentait humiliée, mais en plus on lui avait rappelé son côté infirme. La boule au ventre, elle avait dû accepter à contre cœur de monter dans la voiture et de se laisser aider par le chauffeur. À peine la porte de sa maison fermée qu’elle s’était effondrée en larmes : retrouvant rapidement contre elle la chaleur du chiot qui tentait de la réconforter. C’est le nez perdu dans son pelage blanc qu’elle arriva à retrouver son calme, puis à retrouver ses forces et se relever. Elle devait se préparer.

Avec son père, elle avait trouvé le moyen d’accrocher une petite sacoche pour mettre Odin sur sa moto et a soeur avait même acheté un casque à sa taille pour qu’il soit bien protégé. Certes, quand il serait plus grand il ne pourrait plus monter, mais en attendant : Ruth n’avait pas le cœur de le laisser seul. Alors, elle avait décider de l’emmener avec elle pour l’interview. Elle se sentait bien plus calme quand il était là. Une fois Odin arnaché et prêt, Ruth ferma son casque, enfila ses gants et ils partirent tous les deux à l’adresse qu’on lui avait donnée. Elle gara sa moto devant les bureaux et réalisa à sa grande surprise que c’était un magazine de mode. Fronçant les sourcils, elle sortit son portable, vérifia l’adresse pour être certaine, quand elle entendit une voix familière. Sa cliente l’attendait. Une fois descendue de la moto, qu’Odin est accroché à sa laisse : Ruth suivit la jeune femme dans les locaux.

“Eira Jørgensen t’attend.” Ruth s’arrêta : “Jørgensen …?” Elle hocha la tête. “Cela te dit quelque chose ?” Évidemment, la concernée ne répondit pas. Cela devait être une coïncidence même s’il était peu probablement qu’il est plusieurs Eira Jørgensen. En se retrouvant devant elle, son cœur s’arrêta : elle se souvint d’avoir vu ce visage sur une photo oui. Elle était la sœur d’Aaron. Avalant sa salive, elle tendit sa main : “Bonjour, je suis le Major Iversen, mais vous pouvez m’appeler Ruth.” Elle baissa la tête : “Voici Odin, j’espère que cela ne vous dérange pas qu’il soit là ? Je n’aime pas le laisser seul…”

Eira songeait à changer les codes aussi bien pour sa marque que pour le magazine. La jeune femme connaissait parfaitement le besoin de diversité des gens, surtout que la Norvège était en avance sur ces faits. Il lui était déjà arrivé de faire appel à des femmes complètement en dehors des normes des dictas de beauté américaine c’était ce qu’elle déplorait d’ailleurs. Les mannequins filiformes qui mettaient du 34 étaient loin de représenter la majorité de la population, bien au contraire. Pour ça, elle faisait vraiment attention à ce qu’elle faisait soit parfaitement choisit et réfléchie.
La blonde était encore chez elle, se baladant en sous-vêtements, encore indécise sur la tenue qu’elle devait mettre. Le mois d’octobre était plutôt doux cette année, mais elle ne pouvait jamais refuser de porter une jupe crayon. Alors c’est ce qu’elle enfila, un pull camel en guise de haut. Aujourd’hui, elle avait un rendez-vous important avec une tatoueuse. C’était l’une de ses collaboratrices qui lui avait parler de la jeune femme et Eira lui avait demandé si elle pouvait la rencontrer sans lui dire son nom.

Etre une Jorgensen en Norvège n’était pas toujours super à vivre surtout quand les parents n’avaient qu’une envie, c’était de choisir l’avenir de leur enfant. Le choix de carrière de la blonde était loin de plaire à ses parents et ils ont longtemps essayé de la faire changer d’avis, la voyant dans une carrière immobilière ou médicale. Mais à présent, ils avaient compris qu’ils ne pourraient rien faire face à la tornade qu’était leur première fille. Un soupir quitta les lèvres de la jeune femme alors qu’elle se dirigeait vers les bureaux afin de pouvoir préparer sa journée. La jeune femme savait parfaitement ce qu’elle allait poser comme questions et elle espérait vraiment qu’elle accepte de lui parler. Depuis qu’elle avait interviewer cette ancienne star d’Hollywood, Eira prenait du plaisir à rétablir la vérité, à montrer une vraie version du monde et pas uniquement ce que les diktats de la beauté mettaient en avant. Elle ne comptait pas s’arrêter aux mannequins plus size, non, elle voulait des mannequins tatoués, des petits, des grands, des maigres, des gros, des sportifs comme des personnes à mobilité réduite. C’était le vrai monde qu’elle voulait montrer, pas simplement ce que tout le monde voulait voir.

Eira prévint sa collaboratrice qu’elle était prête et que lorsque Ruth Iversen serait là elle était prête à la recevoir. Le mois de novembre était quasiment bouclé et elle était impatiente de voir le résultat final. Pour décembre, elle souhaitait changer un peu, il s’agissait toujours des mêmes rengaines, les meilleures tenues à paillettes, comment être belle avec une robe noire… Rien de bien joyeux au final. La jeune femme avait bien du mal à comprendre pourquoi tout le monde avait ce besoin de se mettre en noir alors que les fêtes étaient une raison pour faire la fête et profiter de sa famille. Enfin, si tant est que l’on avait une famille plus cool que la sienne parce que pour elle, ce serait un cauchemar. Les questions typiques reviendraient en boucle, lui demandant si elle avait quelqu’un dans sa vie, si elle allait continuer à faire les deux métiers qu’elle faisait, si elle ne ferait pas mieux de se concentrée sur une chose pour avoir le temps de construire une famille.

Perdue dans ses pensées, son regard se posa sur sa collaboratrice quand elle frappa à la porte pour lui présenter la brune. Se levant, Eira lui tendit la main alors qu’elle se présentait. Un instant, Eira crut avoir l’impression d’avoir déjà entendu ce nom mais elle n’en était pas sûre. Ses yeux se baissèrent sur le compagnon de la brune et un sourire s’étira sur ses lèvres alors qu’elle offrait une caresse au dénommé Odin.

- « Enchanté, je suis Eira Jørgensen, rédactrice en chef et journaliste du magazine. Bienvenue. » répondit-elle simplement avec un sourire. « J’adore les animaux même si je n’ai jamais sauté le pas. » avoua-t-elle avant de reprendre. « Voulez-vous boire quelque chose ? » proposa-t-elle avant de l’inviter à s’asseoir dans le canapé qui lui servait à recevoir les personnes. « Je vous remercie d’avoir accepté l’invitation, à vrai dire j’aimerais changer un peu de bord. Tous les magazines féminins et de mode parlent de la même chose et je voudrais changer ça. J’aimerais faire le portrait de femmes fortes. Alors lorsqu’on m’a donné votre nom, j’ai décidé de sauter le pas. » expliqua-t-elle simplement.

En rentrant le bâtiment, Ruth commençait à regretter d'avoir accepté. Elle ne savait pas trop ce qu'elle faisait dans ces locaux. Elle n'y avait pas sa place. Quelques mannequins croisèrent son chemin, lui faisait baisser les yeux. Heureusement, Odin était près d'elle et lui redonnait toujours le sourire. Le chien avait changé sa vie. Purement et simplement. Le fait qu'il avait un handicap similaire au sien ne faisait que renforcer leur lien et Ruth maudissant ceux qui l'avaient abandonné. Elle suivait la jeune femme qui lui avait proposé de venir pour rencontrer la rédactrice en chef. C'est en rentrant dans son bureau qu'elle fronça les yeux en étant frapper par une petite ressemblance avec quelqu'un qu'elle connaît. C'est quand elle se présenta qu'elle comprit où elle l'avait vu. Aaron avait montré une photo de sa sœur aux filles un jour. Une journée triste, sous un soleil impitoyable au cœur du désert. Une journée où une vague de nostalgie et de mélancolie s'était emparée du campement. Ils avaient alors tous parler de leurs proches et le lieutenant-colonel Jørgensen n'avait pas échappé à cela. Odin lécha les doigts de la rédactrice en fouettant l'air de sa queue avant de s'asseoir sur ses trois pattes sous le regard attendri de sa maîtresse.

"Merci. Je n'en ai jamais voulu, mais je l'ai trouvé il n'y a pas longtemps." Quand elle lui proposa ce qu'elle voulait boire, elle se retenait de demander une vodka. "Un café noir, sans sucre s'il vous plaît." Demanda-t-elle poliment.

Ruth s'avança vers le canapé et laissa Odin s'asseoir contre sa jambe valide. Elle écouta attentivement ce que lui disait Eira.

"Je ne vous cache pas que j'ai été surprise." Elle ne passait pas par quatre-chemins. "Je ne sais pas si je suis une femme forte, malheureuse." Il n'y avait qu'à la voir baisser les bras presque quotidiennement. Ruth joignit ses mains et décida de jouer cartes sur table. "Vous ne m'avez pas demandé une interview à cause ou grâce plutôt à Aaron n'est-ce pas ?" Peut-être qu'elle était parano et le voyait partout, mais elle voulait demander. "J'ai servi avec votre frère : le Lieutenant-colonel Aaron Jørgensen."

La secrétaire d'Eira arriva avec son café et une gamelle d'eau pour Odin. Ruth remercia la jeune femme et encercla de ses mains la boisson chaude.

"Je vais faire mon possible pour répondre à vos questions." Même si une part d'elle les redoutait.

Eira avait beaucoup de projets et elle espérait que tout ce qu’elle avait en tête pourrait se réaliser. Vivre dans cette ville lui donnait l’impression qu’elle pouvait renouer avec de nombreuses choses, comme sa volonté de faire bouger les pensées et les mœurs de la société. La Norvège était bien loin devant certains pays, mais elle avait ce besoin irrépressible d’ajouter sa pierre à l’édifice. Bien que ses parents auraient préféré qu’elle se contente d’une carrière plus sûre, plus stable, la jeune femme avait décidé de leur montrer de quoi elle était véritablement capable.
Ce renouveau, ces nouvelles choses qu’elle comptait mettre en place, tout cela commençait aujourd’hui, avec cette interview. Un sourire se dessina sur ses lèvres quand la brune expliqua qu’elle n’en avait jamais voulu. La blonde mourrait d’envie d’avoir un animal qui la suivrait partout, qui la suivrait et viendrait à son travail avec elle. Mais ce n’était pas la question. Sa secrétaire partit chercher un café noir et un cappuccino comme elle le savait pertinemment tandis qu’Alexander vérifiait que tout était en place pour la prochaine réunion, déposant la nouvelle maquette du magazine sur son bureau. Alexander était sûrement l’un des meilleurs assistants qu’elle avait pu avoir.

La blonde écouta la jeune femme alors qu’elle avouait avoir été surprise et qu’elle ne se considérait pas comme une femme forte. Eira allait lui répondre mais la mention de son frère l’arrêta. Autant dire qu’elle ne s’attendait pas à ça, pas du tout même. Elle ouvrit la bouche, puis la referma, cherchant ce qu’elle pouvait bien dire.

- « Mon frère ne parle jamais de ses missions ou de ses collègues. » avoua-t-elle simplement, cherchant ce qu’elle pouvait bien dire. « Il ne m’a jamais parlé de vous. Il est plutôt du genre secret et solitaire, je le vois rarement. » confessa-t-elle simplement.

La secrétaire de la blonde débarqua avec les boissons ainsi qu’une gamelle pour le chien. Remerciant la jeune femme, Eira prit une gorgée de sa boisson chaude afin remettre ses idées en place. L’idée que la brune pensait que son frère était à l’origine de cette rencontre était tout simplement étrange. Pourquoi pensait-elle une telle chose ? Etaient-ils proches ? A quel point ?

- « On va commencer simplement. » fit-elle avec un sourire rassurant. « Est-ce que vous pouvez vous présenter ? » fit-elle simplement.

Le soldat n’était pas connu pour passer par quatre-chemins. Elle allait toujours droit au but sans tergiverser ce qui faisait d’elle une personne qu’on appréciait ou non. Ruth avait donc voulu tout de suite parler de ce qu’elles avaient en commun. Un homme qui n’était pas n’importe quoi. Aaron était bien plus que son supérieur… Il était cet idéal, il faisait partit de ces images d’un passé glorieux qui rendait insipide le présent. Elle l’aimait… Jusqu’à quel point ? Cela était encore à découvrir car il y avait entre eux tellement de douleurs, de non-dits et d’événements atroces qu’au jour d’aujourd’hui Ruth ne savait pas comment allait finir cette relation complexe. La réponse d’Eira lui fit avaler sa salive, elle ne répondit rien d’ailleurs : se contenta de passer sa langue sur ses lèvres. Elle avait cru pendant quelques secondes qu’Aaron aurait au moins parlé de Ruth à quelqu’un de sa famille, mais apparemment non. Comment devait-elle prendre ça…? Peut-être qu’au fond : elle s’était fait des films depuis le début. Son coeur se serra sans qu’elle n’ait son mot à dire. Elle passa sa main dans les pelages de son chiot couché près de sa jambe. Que répondre à ça…? Rien. Elle hocha donc la tête et faisant un sourire avisé.
Sauvée par le gong, la secrétaire revint avec les boissons chaudes. Ruth attrapa la sienne : laissant la chaleur brûler ses mains sans chercher à les enlever. Si elle aurait probablement dû se taire : l’ancien soldat n’en était pas désolé. Elle était habituée de ce genre de situation de malaise qui suivait sa franchise. Eira tourna la page pour lui demander de se présenter. Elle hocha la tête et se racla la gorge en se redressant.

“Je m’appelle Ruth Iversen, j’étais anciennement Major chez les Jegertroppen. Nous sommes le seul pays à avoir une unité de force spéciale dans l’armée seulement composée de femmes. Penser que nous sommes plus faibles que les hommes est une erreure que nos ennemis ont toujours faites.” Et c’est probablement pour cela qu’ils ont ravagé leur campement sans honneur : dans un combat déloyal impliquant des enfants. Elle enleva sa dextre de la tasse pour la poser sur sa prothèse qu’elle serra. “Le destin m’a forcé à poser au placard le fusil et à m’armer d’un dermographe. Je suis tatoueuse maintenant au salon de mon cousin. Je me rends utile d’une autre façon.”

La blonde ne savait pas que la brune avait côtoyé son frère. A vrai dire si Aaron est sûrement le frère lui ressemblant le plus, il garde pas mal de choses pour lui, à commencer par tout ce qui concerne la guerre. De toute façon Eira n’a jamais cherché à en savoir plus, ignorant comment tout devait se passer. Plusieurs fois elle a jugé que son frère pourrait venir la voir s’il en avait vraiment besoin mais il avait ce côté solitaire qu’elle n’avait pas. Si Aaron pouvait passer plusieurs jours sans voir quiconque, c’était loin d’être le cas pour la jeune femme. La working girl était plutôt du genre à enchainer les relations pour justement, ne pas avoir un seul moment seul avec elle-même. Pourtant cela pourrait lui faire que du bien mais elle est loin de vouloir ça. Eira sait pourquoi elle est comme ça et la dernière chose qu’elle a besoin, c’est de se voir totalement face à elle-même.

Si n’importe qui se serait sentie offusquée de la question de son invitée, Eira n’en fut pas le moins du monde troublé. Si cette femme pensait qu’elle était là à cause de son frère, sûrement qu’il y avait anguille sous roche et elle comptait bien réussir à savoir le pourquoi du comment. Seulement pour le moment, elle préférait commencer l’interview, avoir des informations sur elle plutôt que de l’interroger sur sa relation avec son frère.

- « Qu’est-ce qui vous a attiré de faire partie des Jegertroppen ? » demanda Eira. « Ce n’est pas la première chose vers laquelle une petite fille puisse se tourner. » avoua-t-elle pour avoir une réaction.

Bien sûr Eira n’avait jamais cherché à faire partie de l’armée. Elle n’était pas faite pour ça, elle n’aurait pas survécu longtemps sur un champ de bataille. Si elle avai la hargne pour se battre face à ses parents, elle n’était pas sûre de s’en sortir face à certaines situations. Elle avait déjà du mal à supporter le sang alors c’était bien impensable pour elle d’évoluer, une arme à la main vers les ennemis, passant à côté de corps sans vie ou blessés.

- « En quoi le tatouage est utile selon vous ? » demanda Eira. « Je dois avouer que j’ai toujours eus envie d’en faire un mais sauter le pas est un peu plus complique que je ne le pensais. » avoua-t-elle avec un sourire.

Jamais elle n’aurait dû parler d’Aaron. Pourquoi elle faisait une telle chose ? Ce n’est pas comme si leur avenir était certain : il y avait encore beaucoup de choses à régler. Des blessures à soigner. Des souvenirs à apprivoiser. Tout ça dans le but de pouvoir vivre normalement. Ils méritaient de trouver la paix et son supérieur de retourner sur le terrain. Plus les jours passaient et plus le major se faisait une raison : jamais elle ne repartirait. Peut-être que cela était pour le mieux. Cette vie, ce nouveau quotidien n’était pas si désagréables que cela quand elle était dans un bon jour. Elle devait s’y faire. Voilà ce qu’elle se répétait tous les jours. Alors, elle espérait qu’au fur et à mesure : elle appréciait pleinement et sincèrement cette nouvelle vie remplie de banalité. Enfin, il y avait des surprises. Entre l’attentat du centre commercial et cette interview inopinée : pour sûr que Ruth ne s’y attendait pas. Probablement parce qu’elle n’avait jamais été trop portée sur les journaux ou bien sûr les émissions télévisées concernant les célébrités. Quand elle allumait son poste de télévision : c’était pour mettre un film qu’elle avait vu une centaine de fois en fond. Toujours était-il qu’aujourd’hui : elle sortait réellement des sentiers battus. Le malaise concernant Aaron passé, il était temps de passer aux questions et de répondre le plus honnêtement possible.

“Un jour j’ai regardé un documentaire sur l’armée avec mon père et le coup de foudre à été immédiat. J’ai donc mis toutes les chances de mon côté pour pouvoir enfiler l’uniforme. Quand les Jegertroppen ont été créés : on m’a proposé de les rejoindre.” Elle réfléchit : “J’ai toujours eu ce côté garçon manqué, depuis que je suis toute jeune.”

Autant dire les choses comme elles étaient. Ruth n’avait pas honte de son côté garçon manqué et de dur à cuir. Elle adorait cette partie de sa personnalité même et l’assumait totalement. La question suivante fit réfléchir quelques instants Ruth qui voulaient utiliser les bons mots pour définir ce que le tatouage représentait pour elle.

“Beaucoup de monde choisit un tatouage particulier en l’honneur de quelqu’un, pour se rappeler quelque chose : c’est une façon de guérir en outre. Cela coûte moins cher qu’un psychologue et peut avoir les effets d’une bonne thérapie. Parce qu’on choisit la douleur, on est maître de la situation.” Elle regarde son café : “Alors, si je peux aider les gens à aller mieux : je me sens utile à nouveau.” Car au fond, c’était ça le vrai fond du problème, c’était l’impression d’être un poids mort pour la société. Elle sourit et releva ses yeux en entendant la suite : “Passez me voir à l’occasion, on en parlera si vous voulez.” Elle prit une gorgée de sa boisson : “Qu’est-ce qui vous en empêche ?”