Sindre Madsen - I try so hard, but nothing happens...

Chapitre 1On lui dit que c'est un petit garçon de 4 kilos et on lui pose dans les bras. Voilà, c'est comme ça que j'ai été présenté à ma mère. Pas de père, pas de fratrie, pas de tante ou d'oncle. Juste elle et moi. Sincèrement, je ne me souviens pas du tout de cette époque-là, c'est elle qui me l'a raconté. Mais on vivait dans un vieil appartement miteux, à peine chauffé et éclairé dans un quartier de Trondheim dont sincèrement, je ne me souviens plus du nom. J'ai eu un petit frère quelques années plus tard et je ne me suis jamais posé la question de qui était le père. Est-ce que c'était le même? ou pas? J'en sais rien. A cette époque, je ne savais pas comment on faisait les bébés et ce n'était pas important. Tout ce qui comptait, c'était que je prenne soin de ma maman. Déjà, oui, j'avais 4 ans, mais déjà, tout ce que je voulais c'était la voir sourire et vouloir des calins. Alors je jouais souvent avec elle, avec des jouets déjà un peu cassés, avec des livres aux pages déjà abimées. Je ne lisais pas encore, bien entendu, mais je regardais les dessins et j'ai tout de suite adoré ce que je voyais.
Chapitre 2 Une demi-baguette, s'il vous plait madame. Huit ans et déjà, je sais comment m'y prendre avec les gens. Un grand sourire et alors qu'ils ne font pas attention, ma main part plus rapide qu'un serpent dans le pot juste devant moi. Mes doigts ont accrochés une sucette la première fois et je l'ai fourré dans ma poche. Aussitôt après, je sortais les quelques pièces de monnaie pour payer le pain que la boulangère me tendait. Ni vu, ni connu, je venais de commettre mon premier vol. Je savais que ce n'était pas bien, que je risquais une punition. Mais depuis le temps que je venais prendre la baguette ici, je louchais sur les friandises. Et un jour, aujourd'hui, je n'ai pas résisté. J'ai pas pu m'en empécher. J'ai recommencé, quand il n'y avait personne d'autre comme client. J'avais trop peur qu'on me gronde, mais derrière un sourire à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession, je volais. Je me suis toujours senti coupable de faire ça, mais je n'avais pas le choix, si je voulais vivre comme les autres petits garçons, je devais faire des choses pas bien. Et donc... je volais.
Chapitre 3 Cette fille, je ne l'ai jamais vu me regarder voler. J'étais trop occupé à tenter de cacher ma peur, ma honte et à faire ça le plus rapidement possible que je ne l'ai pas vu. Pourtant, elle était souvent là, dans la boutique, derrière le comptoir, mais elle n'était qu'une enfant comme moi, alors je pensais peut-être que c'était normal, qu'elle aussi faisait ça, après tout, elle semblait être ici chez elle, donc elle pouvait bien prendre ce qu'elle voulait, non? En tout cas, elle m'aurait vu, elle m'aurait dénoncé, non? Parce que je peux vous dire que j'ai pas fait que de voler une sucette...  J'ai volé des poignées de bonbons, des pains au chocolat, des petites meringues, des chouquettes, tout ce que ma petite mimine pouvait attraper, j'arrivais à le fourrer dans mon sac ou ma manche, ou ma poche. Le plus gros que j'ai dû voler ici, c'était... attendez que je réfléchisse... une ficelle. Vous savez les pains très fins. La majorité du temps, je rapportais ça à la maison, après que maman parte au travail, et comme ça, je partageais avec mon petit frère.
Chapitre 4 J'ai été indépendant très rapidement, je volais toujours, mais j'évitais l'école. J'aimais pas trop ça. Je m'ennuyais pour dire la vérité. Et puis, j'étais ni bien grand, ni bien gros, et on me tapait dessus, parce que je portais des vêtements un peu rapiécés, parce que j'étais mal coiffé, parce que je n'avais pas de stylo, parce que mon cahier était usé, parce que ma règle était cassée. J'avoue que j'ai fais l'école buissonnière plus d'une fois. Mais quand la maitresse notait quelque chose dans mon carnet, j'arrivais toujours à imiter la signature de maman. Elle n'a jamais su ce qui m'arrivait. Oui, oui, j'ai menti, en plus de voler. Et la preuve est que je mentais bien, c'était que jamais je ne me suis fait coincé. J'avais trouvé ma sorte de vocation, je serais menteur professionnel. J'vous jure que ça existe. Les faussaires. Bon, à cette époque, je ne savais pas ce que ça voulait dire, alors je disais "menteur professionnel". J'ai volé tout et n'importe quoi, aussi bien des vêtements, que des bidules, que des bouts de voiture, que du pain, que des légumes...
Chapitre 5 J'ai 17 ans quand maman est morte. Je me souviens plus beaucoup de ce que les médecins m'ont dit. J'ai été collé dans une ambulance, avec mon petit frère, on est allé à l'hôpital, des docteurs m'ont parlé, mais j'ai jamais écouté. Et là, tout à coup, après des heures d'attente, une dame est arrivée, elle a dit de nous suivre et on l'a suivi. C'est comme ça qu'on a dit au revoir à notre mère... On nous a mis dans une voiture, la dame a conduit quelques kilomètres avant de nous faire entrer dans ce que j'ai considéré tout de suite comme une prison. Il y avait un grand mur haut, avec des caméra et une petite pancarte, mais j'ai pas eu le temps de voir la pancarte qu'on était déjà poussé à l'intérieur. Plein d'autres enfants, des adultes qui faisaient la gueule et des adultes, visiblement de passage qui nous souriaient. Pour moi... ça puait cette histoire. Mon petit frère visiblement, il n'a rien compris. Mais moi, je savais que je ne pouvais pas rester là. Alors après trois mois passés à faire chier les surveillantes dans la cantine, j'ai fait le mur. Je me suis enfuit.
Chapitre 6 J'ai fait du stop jusqu'à Oslo. Là, j'ai vécu comme j'ai pu, dans un squat, sous un pont, dans un refuge... J'ai volé, mendié, bastonné. Et sincèrement, je ne sais pas comment j'ai réussi à m'en sortir de cette période là. J'ai trouvé des boulots à la journée, mal payés, et puis, si je tentais de me sortir de la rue de bonne volonté, j'ai aussi touché le fond du fond du fond... J'ai commencé à me droguer. La jolie poudre blanche qu'on sniffe et qui nous fait voler au Paradis. Et ça, c'est le cercle infernal et vicieux. Parce qu'une fois tombé dedans, on en ressort plus, on se noie soi-même. Les services sociaux, le samu des rues ou je sais pas comment vous appelez ça, m'ont ramassé plus d'une fois, ils m'ont collé dans des maisons pire que l'orphelinat, mais bien mieux gardé, bien mieux bati et de toutes manières, j'étais déjà au bout de ma life, alors j'ai pas réussi à m'enfuir de ces endroits. Deux fois, deux fois 8 mois sur peut-être quelque chose comme 3 ans.
Chapitre 7Et puis, je ne sais pas comment. Je n'ai plus touché à la drogue. Alors, est-ce que c'est l'effet de la cure? Surement. Mais pourquoi alors la première n'a pas fonctionné? J'en sais rien. Peut-être qu'aussi, j'avais muri? Allez savoir... Je suis parti pour Göteborg, en Suède, de l'autre côté de la frontière. Je me suis racheté une conduite, une identité, tout ça tout ça. Je suis tombé, au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne. J'ai bossé dans une grosse plateforme de meubles en kit et je me suis tellement acharné au boulot que j'ai fait pas mal d'argent que j'ai pu mettre de côté, même si je comblais mon quotiden avec quelques autres petits larcins, juste pour garder la main. Ca m'a permi d'acheter un faux diplome de l'éducation nationale. Et c'est avec une valise bien rempli que je suis revenu en Norvège. D'abord dans la capitale, juste pour tater le terrain, voir si je pouvais utiliser ce certificat totalement faux, mais c'était un beau faux. Ca a fonctionné, pendant un an, j'ai pu travailler dans une école primaire à enseigner le sport au plus jeune.
Chapitre 8Aujourd'hui, j'ai emménagé à Trondheim, la ville de mon enfance, je suis dans une nouvelle école, mais si ça paie le loyer, ce n'est pas le boulot qui me passionne. Depuis toujours j'ai aimé faire des choses avec mes mains. Je me les occupe en créant des trucs faciles en ébénisterie, j'aime reproduire des tableaux, grand ou petit, j'aime travailler de mes mains. J'ai pas de connaissance en art, en architecture, mais j'apprends facilement. J'ai un tout petit chez moi mais mon garage est rempli de choses que j'ai fait moi-même, comme ça, d'instinct. Peut-être que c'est ma vocation, peut-être pas... Je ne sais pas. Et puis, en me baladant dans un des quartiers de la ville, je me suis senti attiré par une rue en particulier et je me suis posé dans une boulangerie, pour juste un café et un pain au chocolat. Ca m'a rappelé des bons souvenirs, des moins bons aussi, mais surtout des bons. C'est sur la route de l'école, alors peut-être que j'y viendrais tous les jours. Je souris à la vendeuse, et reprends ma route.