une jolie surprise - with sindre

Une évolution, c’est vrai qu’on voyait une évolution, lentement mais sûrement. Il fallait dire que les dégâts étaient tellement énormes que ça paraissait presque insurmontable pour la jeune femme de s’en sortir. Mais heureusement, ses voisins, les entrepreneurs qu’elle payait cher et vilain, toutes ces personnes qui l’accompagnaient dans la réalisation de cette nouvelle boulangerie, cette nouvelle boutique, l’accompagnaient du mieux qu’ils pouvaient. Bien sûr, il y avait des jours où elle avait l’impression que rien n’allait, qu’elle ne parviendrait jamais à retrouver la boulangerie qu’elle avait tellement connue et chérie. Mais c’était sans doute pour un mieux. Au moins, elle n’avait plus d’excuses pour effectuer les changements qu’elle rêvait de voir dans cet endroit.
Les murs avaient été remontés, ce qui était déjà un énorme avancement. Les ouvriers étaient à présent occupés sur le comptoir, la vitrine, qui allait complètement changer, permettant d’exposer davantage de pâtisseries et de gâteaux en tous genres, permettant aussi un service plus rapide et fluide qui ravirait sans doute sa vendeuse. Une vendeuse qui lui était d’une grande aide depuis l’attentat, puisqu’elle venait autant que possible pour donner un coup de main.

Aujourd’hui, Wanya attaquait la peinture de la pièce principale. Alors que les ouvriers avaient pris un jour de congé, ça lui permettrait de laisser sécher la peinture avant qu’ils ne reviennent et ne terminent les dernières petites choses qui pouvaient faire de la poussière. La belle avait choisi de jolis tons chauds, jaune et orange, des couleurs ensoleillées qui donneraient envie de venir se poser chez elle malgré le froid glacial norvégien.
Elle voulait que ça soit un endroit chaleureux, que les murs décrépis laissent place à quelque chose de plus agréable, de plus frais, de plus joyeux, qui donne le sourire dès que l’on entre, que ça soit par les bonnes odeurs ou par les couleurs harmonieuses qui donnaient envie de s’asseoir et de prendre une boisson chaude.

La jeune femme venait de grimper sur une échelle pour commencer par le haut du mur, dans un coin. Elle sentait sa jambe droite encore légèrement vacillante mais elle faisait de son mieux pour garder son équilibre, parce qu’il fallait bien reconnaitre que les blessures physiques provoquées par l’attentat n’avaient pas encore totalement disparu.
Wanya était occupée avec son rouleau de peinture quand elle entendit un léger bruit, qui semblait venir de la porte d’entrée. Doucement, elle se retourna et déposa le pot de peinture sur la plus haute marche de son échelle et elle annonça :

Désolée, la boulangerie est fermée pour le moment.

Ce visage, ce garçon, elle l’avait déjà vu quelque part. Elle ne savait pas où, mais son visage lui était familier, maintenant avec la boulangerie, elle voyait tellement de monde qu’elle ne savait même plus où elle rencontrait les gens. Elle cherchait rapidement dans sa mémoire mais rien ne lui venait. Elle descendit de son échelle, attrapa un torchon qui trainait pas loin et s’essuya les mains avant de demander :

Je peux faire quelque chose pour vous ?

Et dire qu’à cette période de l’année, sa boutique devrait être joliment décorée… Et ça restait un chantier.

Le nombre de personnes qui passaient par la boulangerie tous les matins, alors qu’elle était occupée à travailler pour essayer de rebâtir un établissement qui lui ressemblait. Et à chaque fois, elle avait les mêmes mots, et à chaque fois, on lui répondait combien on aimait cet endroit, combien on avait envie d’un bon petit pain cuit au four et d’une pâtisserie pleine de couleurs. Les pâtisseries de Wanya, celles qu’elle était capable de faire, et qu’elle faisait souvent avec beaucoup d’amour.
Ce jeune homme, il ne faisait pas partie de ses habitués, même si elle avait l’impression de reconnaitre son regard, ses grands yeux, et puis les traits fins de son visage. Il avait le genre de visage que l’on n’oubliait pas, mais elle était tellement traumatisée par ce qui lui était arrivé qu’elle avait la sensation de tout oublier pour le moment. Il lui annonça rapidement qu’il repasserait à un autre moment, et Wanya lui fit un signe de la tête pour lui faire comprendre qu’elle comprenait sans soucis, que ça ne posait pas de soucis, mais il sembla trainer dans les environs.

Pas de problèmes, je vous accueillerai avec plaisir à la réouverture.

Mais il restait, il n’était pas encore sorti et elle se demanda si peut-être il cherchait quelque chose, si elle pouvait faire quelque chose pour lui. Attendant sa réponse qui ne tarda pas à venir, elle fut surprise de ses balbutiements. Il avait l’air tellement sûr de lui, c’était étrange de le voir hésiter comme ça. Finalement, il lui annonça qu’il pouvait l’aider si elle le souhaitait, et si depuis les attentats Wanya avait beaucoup de mal à accepter l’aide qu’on lui proposait, elle se dit qu’après tout, elle avancerait plus vite si elle avait un coup de main. Et puis il le lui avait proposé lui-même, elle ne le forçait en rien.

Je vous avoue que j’accepte difficilement de l’aide, mais on avance plus vite à deux que tout seul. Je sais pas trop… Vous êtes sûr d’avoir envie d’aider une inconnue ?

Elle lui sourit, descendue de son échelle, elle se sentait déjà beaucoup plus à l’aise. La jeune femme posa son rouleau au-dessus de son pot de peinture et elle finit par lui demander :

Vous voulez faire quoi ? IL y a de la peinture ou alors il faut encore désencombrer les tas de briques qu’il y a par-là et les mettre dans le container dehors. Pour moi c’est un peu lourd avec ma blessure.

Elle haussa les épaules, se sentait faible et ridicule, mais elle ne lui en voudrait pas s’il refusait de s’occuper des briques, elle le ferait plus tard.

Wanya, elle avait du mal à croire en la bonté humaine pour le moment. Allez savoir pourquoi, mais depuis que sa modeste boulangerie avait été la proie d’un tueur fou, elle avait tendance à croire que le monde utopique dans lequel elle vivait jusque-là n’était justement que ça, une utopie. Elle n’arrivait que rarement à sourire, elle ne parvenait pas à se sentir à sa place dans ce monde si triste, et pourtant elle faisait de son mieux pour redevenir l’ancienne Wanya, la souriante Wanya, l’heureuse de vivre Wanya. Bien sûr qu’elle était heureuse de vivre, bien sûr qu’elle s’en était sortie et qu’elle remerciait le ciel pour ça, mais elle se demandait tout de même pourquoi ce fou avait décidé de prendre sa boulangerie pour cible. La police lui avait dit d’arrêter d’y penser, mais c’était plus fort qu’elle, elle ne pouvait pas s’y résoudre. Lorsque l’inconnu lui dit que c’était sans doute la charité de Noël, elle sourit en descendant de son échelle.

Votre visage ne m’est pas inconnu. Vous êtes client ici ?

Elle connaissait la plupart de ses clients, et c’est pour ça que ça l’étonnait de ne pas le reconnaitre. Cependant, avec les événements récents, il n’était pas impossible qu’elle ait oublié le visage d’un client qui n’était plus venu depuis un moment, ou celui d’un client récent, qui n’était venu que quelques fois. La jeune femme avait tout de même tendance à penser qu’elle devait se leurrer mais qui sait, on ne sait jamais qui on peut rencontrer. La jeune femme sourit lorsqu’il lui proposa son aide et sans trop savoir quoi lui demander de faire, elle lui demanda s’il voulait bien se charger des briques qui avaient été détruites lors de l’attentat. Elle en avait déjà déplacé une partie mais il fallait bien reconnaitre que c’était particulièrement lourd, et qu’elle ne se sentait pas capable de tout déplacer toute seule. Il serait d’une aide précieuse.

Merci beaucoup… Et oui… Le tueur était ici, il a fait exploser une partie de la façade.

Elle en avait des frissons rien que d’y penser, lui et son capuchon noir qui dissimulait un visage qu’elle n’avait pas vu, planqué derrière un masque. Tout ce dont elle se rappelait, c’était ses yeux, des yeux rieurs, comme s’il se moquait d’elle. Elle les avait revus ces yeux, dans ses songes, tellement de fois.
La jeune femme dont les cheveux étaient actuellement teints en roux, mais pas pour longtemps tant cette couleur ne lui plaisait pas, soupira en observant les murs de sa boulangerie, mais elle se dit que c’était pour un mieux, que ça lui permettrait de faire ces travaux dont elle rêvait depuis tellement longtemps. Mais elle voulait rouvrir, et vite, alors quand il lui posa la question, la jeune femme répondit :

Le plus vite possible. Je n’ai pas encore de date mais mes clients n’arrêtent pas de demander.

Elle sourit avant de se rendre compte qu’elle ne connaissait même pas son prénom, et comme il l’aidait, elle pouvait au moins connaitre le nom de son héros du jour.

Au fait, c’est quoi votre prénom ? Moi c’est Wanya.

Il ne le savait visiblement pas, alors autant réparer cet oubli.
 

Il semblait mal à l’aise, il n’avait peut-être pas envie, ou besoin, d’être reconnu, ou peut-être qu’elle se trompait complètement et qu’il n’avait rien à voir avec le visage qu’elle pensait reconnaitre. Wanya était tellement troublée ces derniers temps qu’elle devait probablement se tromper, c’était complètement possible. La belle secoua la tête, se rendant compte de la gêne de son aidant. Voilà qu’il venait gentiment lui proposer son aide, qu’il lui proposait de lui donner un coup de main, et elle se permettait de le mettre mal à l’aise. Elle était vraiment conne en fait.

Oh je suis désolée si je vous gêne… Mais vous avez sûrement dû rencontrer ma mère à l’époque. C’était elle qui tenait la boulangerie avant moi.

Wanya essayait de ne pas trop montrer sa gêne par rapport à la situation. Elle se sentait légèrement mal à l’aise, surtout qu’elle ne le connaissait pas vraiment, elle ne savait pas à quoi s’attendre.
Mais il se montrait d’une gentillesse étonnante, il était là pour elle, un parfait inconnu, un garçon tellement gentil qu’elle avait du mal à y croire. La jeune femme était descendue de son échelle pour lui montrer ce qu’il pouvait faire, et tout de suite il s’était mis au travail, tout en la questionnant sur ce qu’il s’était passé dans la boulangerie. Il devait avoir quitté la ville pendant un moment, parce que tout le monde à Trondheim était au courant de ce qu’il s’était passé, tout le monde avait été touché de près ou de loin par la tragédie des attentats. Tout le monde connaissait une personne qui avait été blessée, qui avait même été tuée. Wanya ne doutait maintenant plus qu’il avait été en-dehors de la ville pendant un bon moment.

Apparemment, son frère avait été tué pendant les attentats d’Utoya. J’ai cru comprendre qu’il voulait se venger en montrant que les autorités des grandes villes du pays n’étaient pas prêtes pour ce genre d’événement.

Elle avait dit ça d’un ton neutre, en haussant les épaules, mais la vérité c’est qu’elle avait été bien plus marquée par ces événements qu’elle le pensait. Wanya était tout de même surprise par la remarque du jeune homme, qui décrivait sa boulangerie comme la meilleure. Visiblement, il en gardait un bon souvenir.

Oh vous exagérez ! Je ne suis qu’une modeste petite pâtissière. Je n’ai pas beaucoup de mérite, tout le mérite revient à ma mère.

Elle lui sourit avant de reprendre son rouleau à peinture et de se remettre au travail. Elle voulait terminer cette partie du travail et achever de peindre les murs de la partie boutique aujourd’hui, histoire de pouvoir remettre une deuxième couche le lendemain. Sindre se présenta finalement, et Wanya fut impressionnée par le travail énorme qu’il abattait. Il avait déjà pratiquement fini de sortir toutes les briques de la boulangerie, tout était dans la remorque, il venait de lui épargner des heures de boulot.
Mais quand il l’invita au marché de Noël, Wanya se retourna, ne sachant pas trop quoi répondre. Elle était surprise de l’invitation mais plutôt charmée en réalité.

Oh et bien euh… Oui, d’accord, pourquoi pas. C’est une bonne idée. Je suis plus vraiment sortie depuis l’hôpital…

Elle sourit légèrement, donnant un dernier coup de rouleau sur le mur où elle était occupée.

Il était un peu maladroit dans sa façon de parler, mais il était clair qu’il ne lui voulait pas de mal, il voulait simplement essayer de faire connaissance, comprendre ce qui avait rendu cet endroit dans cet état. Apparemment, la boulangerie avait compté pour lui, d’une manière ou d’une autre, il y a bien longtemps, et ça Wanya pouvait le comprendre, parce que cet endroit représentait tous ses souvenirs d’enfance, ça représentait tout pour elle, son passé, son présent et son futur aussi. Mais pour le moment, elle était incapable de savoir de quoi demain serait fait, elle ne savait pas comment les choses allaient se passer pour elle mais elle espérait que tout irait bien, qu’elle retrouverait son optimisme, qu’elle retrouverait son sourire et surtout, qu’elle retrouverait vite sa passion pour la pâtisserie et son amour de ses clients.
Wanya était occupée à terminer de mettre une couche de couleur sur son mur arrière de la boutique quand Sindre lui indiqua qu’elle avait probablement hérité du talent de sa mère pour la fabrication des petits pains au chocolat. Donc il connaissait bien sa maman, il connaissait bien la façon qu’elle avait de faire ses délicieux pains au chocolat avec lesquels elle goutait en rentrant de l’école.

C’était mon péché mignon aussi. J’adorais ceux de ma mère. Elle m’en glissait toujours un dans une serviette quand je rentrais de l’école. J’avalais ça avec un grand verre de lait dans l’atelier, je la regardais travailler du coin de la pièce. Je trouvais ça tellement passionnant.

Elle sourit en se remémorant ce souvenir. Aujourd’hui, elle n’avait plus vraiment de souvenirs avec sa maman, elle ne pouvait pas en construire de nouveaux, comme toutes les filles de son âge pouvaient le faire, tout simplement parce que sa mère n’était plus assez lucide certains jours pour se rappeler qu’elle était sa fille. Wanya avait beaucoup de mal avec l’idée que sa mère ne la reconnaisse pas certains jours. Mais c’était comme ça, elle s’était faite à cette idée, et il valait mieux la voir comme ça que morte, après tout…
Le contact passait bien avec Sindre, Wanya se sentait étrangement bien en sa compagnie. Depuis les attentats, elle se méfiait de tout le monde, mais il fallait croire qu’elle n’avait aucune raison de se méfier de lui. Il semblait gentil, et d’ailleurs, quand il lui proposa une sortie, elle fut étonnée mais ne mit pas longtemps avant de répondre par l’affirmative. Pourquoi pas après tout ?

Ce soir, ça serait cool oui. Faut juste que je termine ici, que je rentre me doucher et on peut se retrouver en ville si tu veux ?

Elle était naturellement passée au tutoiement. Pourquoi ? Parce qu’il était sympa, et puis s’ils étaient amenés à se revoir en-dehors de la boulangerie, pourquoi ne pas le tutoyer après tout ? Il lui paraissait sympa et il lui donnait un vrai bon coup de main, un coup de main comme elle n’en n’attendait pas, alors ça lui paraissait normal de le tutoyer.

Oh oui, enfin je voudrais pas t’emmerder avec ça. J’ai appris à me débrouiller toute seule. Mais si t’as du temps à perdre, tu es toujours le bienvenu ici.

Elle ne voulait s’imposer à personne, comme toujours, mais il avait l’air de tenir sincèrement à l’aider.

Si elle s’attendait à rencontrer quelqu’un d’aussi gentil malgré la situation dans laquelle elle se trouvait ? Certainement pas non. Elle en restait pantoise, mais il fallait bien reconnaitre que la compagnie du jeune homme était plus qu’agréable. Il lui faisait clairement comprendre qu’il avait envie de la revoir, et dans un contexte différent de celui des ruines de sa boulangerie. Ça allait déjà mieux, elle commençait à voir la lumière au bout du tunnel, un long tunnel qui l’avait même conduite à croire que c’était un message du destin cet attentat, un message que le destin lui envoyait pour lui dire qu’elle n’était pas faite pour tenir cette boutique. Mais malgré tous les obstacles sur son chemin, Wanya restait persuadée qu’elle devait être là, qu’elle était née pour ça et que rien ni personne ne lui ferait oublier son rêve, pas même un fou furieux armé de bombes qui avait failli la tuer. Non, on ne l’aurait pas aussi facilement.
Sindre lui donna rendez-vous à dix-huit heures, devant la statue de cet homme à cheval devant laquelle Wanya était passée tellement de fois, sans jamais faire attention à son histoire. Il y avait plein de légendes, d’anecdotes et d’histoires qu’on leur racontait à l’école sur la ville de Trondheim, mais elle ne s’était jamais intéressée à celle-là en particulier. La belle, descendue de son échelle, lui sourit avant de lui répondre :

D’accord pour dix-huit heures, c’est parfait. J’aurai le temps de rentrer prendre une douche pour avoir l’air décente.

Oui, elle avait envie de se faire jolie pour la première fois depuis longtemps. Une fois le rendez-vous pris, Sindre resta encore un moment à l’aider, avant de retourner vaquer à ses occupations. Il lui avait été d’une grande aide, et elle serait contente de faire plus ample connaissance avec lui une fois qu’ils se seraient retrouvés ce soir.
Wanya avait encore du boulot, elle était restée jusque seize heures à la boutique, remotivée comme jamais, avant de finalement admirer son travail. Elle aimait beaucoup la nouvelle ambiance de la boulangerie, plus familiale, plus cocooning, et elle était même décidée à faire installer une cheminée dans le coin dégustation, il faudrait qu’elle appelle un entrepreneur dès le lendemain. Mais là, tout ce dont elle se souciait, c’était de son rendez-vous avec Sindre. Elle referma la porte de la boulangerie et rentra chez elle. La première chose qu’elle fit fut de se rendre à la salle de bain pour prendre une douche bien chaude. Une fois lavée et vêtue chaudement, elle rencontra l’un de ses colocataires, avec qui elle discuta pendant un petit moment, avant de se rendre compte qu’elle avait rendez-vous dans quinze minutes. Juste le temps qu’il lui fallait pour se rendre dans le centre.
Elle arriva rapidement sur la place, près de la statue, et son regard se posa sur Sindre, cigarette aux lèvres, et ça lui arracha un sourire.

Alors comme ça t’es un fumeur ? J’aurais pas deviné.

Elle n’avait pas senti l’odeur de fumée sur lui, mais peut-être était-ce couvert par l’odeur très forte de peinture qui se dégageait des murs de la boulangerie. Elle sourit avant de s’approcher de lui et de lui demander :

Alors, tu as envie de faire quelque chose en particulier ? Je vais juste éviter la patinoire, ma jambe me fait encore trop souffrir si ça t’embête pas.

Et elle espérait que ça ne l’ennuierait pas, et qu’ils passeraient un bon moment malgré sa jambe encore douloureuse.

Un vice… quand on ne la connaissait pas, Wanya devait avoir l’air d’une gentille jeune fille douce, sans aucun défaut, alors qu’en réalité, elle avait des secrets bien planqués, des choses qu’elle gardait au fond d’elle, comme sa peur panique de devenir comme sa mère, sa peur panique de se fixer avec quelqu’un dans la vie parce qu’elle craignait d’avoir la foutue maladie, héréditaire, de sa maman. Elle ne voulait pas de cet Alzheimer précoce, elle ne voulait pas perdre la mémoire et oublier toutes les personnes qui tenaient réellement à elle. Sa mère, la moitié du temps, était incapable de se souvenir du visage de sa propre fille.
Et elle avait peur Wanya, elle était terrifiée à l’idée que ça lui arrive à elle aussi. Elle ne parlait de l’état de sa mère à personne, prétextant simplement qu’elle avait voulu prendre du temps pour elle et se retirer de la boulangerie pour la laisser à sa fille, mais la vérité, c’est qu’elle ne se souvenait même pas de sa boulangerie. Wanya lui montrait souvent des photos, pour stimuler sa mémoire, mais souvent ça ne servait à rien. Alors elle rentrait chez elle, et elle pleurait, en secret. Heureusement, son père et Thea étaient là pour elle.

C’est pas un bien vilain vice, même si c’est pas le plus agréable au niveau de l’odeur.

Elle eut un sourire, voire même un léger éclat de rire, avant de retrouver son calme légendaire et d’observer le marché qui se tenait devant eux. La neige rendait le tout encore plus magique. Une fine couche s’était déposée sur les toits des petits chalets, ça sentait bon le chocolat chaud, les petits plats pleins de gras qui redonnaient du baume au cœur en cette saison si froide. Wanya avait toujours adoré l’hiver. Bien sûr, il faisait très froid, mais les paysages étaient magiques à cette période de l’année, et puis tout était plus facile, on avait constamment l’impression de marcher sur un nuage, elle aimait la sensation glaciale du froid sur son visage quand elle sortait de son appartement pour rejoindre la boulangerie. C’était simplement magique, il n’y avait pas d’autre mot.

Surtout à manger. Et à boire. Je suis affamée, littéralement. Tu vas avoir l’occasion de voir mon vice à moi.

Son vice, c’était définitivement la nourriture. Elle pouvait en ingurgiter des quantités incroyables. Non seulement elle était gourmande, mais en plus elle était curieuse, curieuse de gouter tous les délices que les autres pouvaient préparer, curieuse de découvrir de nouvelles saveurs. Lorsque Sindre l’attira vers un petit chalet qui vendait de jolies bougies de Noël, Wanya sourit et le suivit en rigolant. Bon sang, elle ne s’était plus amusée depuis si longtemps… Alors qu’il lui annonçait qu’il adorait l’odeur de la cannelle, Wanya eut des étoiles dans les yeux, regard qu’elle tourna vers lui :

J’adore la cannelle aussi, c’est mon épice préférée je crois. Et j’adore les bougies qui sentent l’agrume, c’est rafraichissant, et ça donne une petite note d’été je trouve.

Vu le froid ambiant, la note d’été n’était pas négligeable, et elle promettait des jours qui allaient se rallonger, petit à petit. C’était ça le plus déprimant ici, les journées trop courtes.

Elle lui plaisait, la compagnie de Sindre. Il était marrant, charmeur, il avait tout ce dont une fille pouvait rêver. Elle qui, pendant longtemps, avait cru qu’elle n’avait pas besoin d’un homme dans sa vie parce qu’après tout, elle avait déjà tout ce dont elle pouvait rêver, elle se trompait peut-être lourdement. Bien sûr, il y avait la boulangerie, son rêve de gamine, qu’elle ne s’attendait pas à réaliser aussi vite. Normalement, elle devait faire un tas de formations, peut-être passer l’une ou l’autre année à l’étranger. Elle avait envie de rêver, comme une gamine de son âge, mais en réalité, elle n’était plus une gamine, elle était une jeune adulte, et elle avait des responsabilités. Et pour le moment, elle n’avait pas envie de se sentir coincée dans une relation avec un mec. Quoique, si c’était Sindre, elle était prête à changer son fusil d’épaule. Il était mignon, accessible, fun, exactement ce dont elle avait besoin dans sa petite vie rangée.
Sindre, il la charmait avec ses petites remarques. Il avait pas raison, c’était pas un bien vilain vice la gourmandise, sauf quand tu prenais deux kilos dans chaque fesse au moment où tu testais de nouvelles recettes. Et en hiver, on n’a pas envie de faire du sport pour les perdre les kilos en trop.

Ma tête est d’accord avec toi, mes fesses ne le sont pas.

Mais Sindre, on aurait dit qu’il avait la tête ailleurs. D’ailleurs, pendant un temps très court, Wanya eut même la sensation qu’il se faisait chier avec elle. Comme s’il était trop occupé à regarder ce qu’il se passait autour de lui, et qu’il ne s’occupait pas d’elle, mais rapidement il se rattrapa, et la belle se sentit un peu mieux. La jeune femme sourit en l’entendant. Visiblement, il avait une relation très particulière avec la cannelle, elle devait absolument creuser de ce côté-là. Il l’avait tellement aidée, elle avait envie d’en savoir plus sur lui, surtout qu’elle avait toujours la vague sensation qu’elle le connaissait déjà, comme si elle l’avait déjà croisé quelque part.

Raconte-moi un bon souvenir en rapport avec la cannelle. Je suis curieuse.

Elle lui sourit légèrement avant que celui-ci ne décide de prendre la poudre d’escampette, supposément pour aller chercher quelque chose qui lui ferait plaisir. Haussant un sourcil, la belle le regarda s’éloigner et se pencha vers l’étalage de bougies. Elle en choisit finalement une qui lui faisait de l’œil, en forme de sphère, beige, et qui dégageait une délicieuse odeur de pain d’épices. Ça lui donnait envie d’en manger, et encore plus, d’en faire et de partager ça avec ses colocataires au petit déjeuner.
Quelques secondes plus tard, Sindre revint, avec une petite chose qui allait directement lui faire plaisir. Il avait raison, Wanya était gourmande, et tout lui plaisait.

Oh mon Dieu t’es tellement un amour, j’adore !

Elle attrapa la pâte à gâteau et en prit un morceau qu’elle fourra dans sa bouche, avant de lui tendre un morceau et de lui demander :

Tu en veux ?

La belle sourit tout en fermant les yeux pour déguster les arômes de cette pâte à gâteau de chez eux. Elle attrapa son bras et lui dit :

J’ai repéré un chalet où ils préparent des boissons chaudes aromatisées. Je meurs d’envie d’un chocolat chaud, tu viens ?

Wanya se lâchait enfin, elle se sentait plus à l’aise, et elle était contente de passer du temps avec lui. Malgré sa jambe qui la faisait légèrement souffrir.