Je me suis lancé dans le bénévolat, mais j'ai arrêté parce que ça rapportait pas / Caj

Aage avait pris un tour de nuit à un de ses collègues, et était présentement en train de s'escrimer à prendre l'arène du commissariat malgré un Ectoplasma un peu faiblard.

« Allez, là », ronchonna-t-il entre ses dents.

Oui, il jouait à Pokémon go sur son temps de travail mais franchement la nuit il y avait beaucoup d'attente donc il tentait de reprendre l'arène ; Aage était dans l'équipe jaune et il ne savait pas quel autre de ses collègues, team rouge lui, bataillait pour l'arène mais ça faisait des semaines que la guerre faisait rage.
Il l'avait même rajouté dans ses amis sur le jeu – sans lui demander son identité réelle, pas fou non plus.

« Riise ! »

Il sursauta parce qu'il n'avait pas la conscience tranquille, verrouilla son téléphone sans terminer son combat, et prit un air fort occupé, avec cette facilité de dissimulation qui était grosso modo tout ce qu'il avait appris de ses séjours en orphelinat et famille d'accueil :

« Oui ? »
« Un type en dégrisement, c'toi qui fais les papiers. »

Il n'envisagea même pas de râler, il n'avait pas grand-chose à faire d'autre. Quelques minutes plus tard, il descendit les escaliers jusqu'aux cellules de dégrisement. Derrière les fenêtres bien fermées du commissariat, une tempête hurlait, et Aage n'avait pas hâte de l'affronter pour rentrer chez lui.

« Tu m'ouvres ? » demanda-t-il à son collègue, qui hocha de la tête.

Une fois dans la cellule, il s'avança, et soupira :

« Salut Caj. T'es dans un bel état, encore, à ce que je vois... »

Je me suis lancé dans le bénévolat, mais j'ai arrêté parce que ça rapportait pas

L'hiver est passé, enfin, le plus dur est passé. La peine, la douleur, la colère, la haine, le désespoir, eux, sont restés. J'ai tellement mal au plus profond de moi... Jamais je ne pourrais combler le vide que m'a laissé ma sœur en partant ainsi. Je ne peux que vivre avec son souvenir, ses rires se font échos dans mes oreilles, ses sourires inondent mon monde froid de couleurs printanières. Je soupire alors que l'on me jette presque dans la voiture de police, les fers aux poignets. J'ai l'habitude maintenant. Faut dire que pour survivre dans les rues, faut une bonne dose d'alcool dans le sang. Si on ne veut pas mourir geler, c'est comme ça. On a peut-être l'air de pochetrons, on est peut-être des pochetrons, mais c'est le seul moyen. L'alcool nous donne chaud. Et puis, c'est une technique pour finir au poste de police si on a de la chance, au samu social si on a pas de chance. Je préfère largement la flicaille, ils posent moins de questions, ils sont moins chiants. Ils vous collent dans une cellule et ils attendent que vous cuviez. Au samu social, ils cherchent à savoir tout de votre vie. Et ça, je ne veux pas. Le seul inconvénient des poulets, c'est qu'ils ont le chic pour déterrer des informations. Et je les déteste depuis qu'ils ont choppé mon identité. Je baille, j'aimerais bien dormir, mais j'entends la clé tourner dans la serrure. Je me redresse, frottant mon crane d'une main paresseuse. Je reste assis sur l'espèce de banquette en ciment. C'est totalement spartiate ici, y'a rien, juste ce cube de ciment pour s'allonger dessus, ils vont même jusqu'à vous prendre les lacets de vos godasses et votre ceinture pour que des idées suicidaires ne traversent pas votre esprit. C'est un jeunot qui entre, il sait à peine se raser la barbichette, comment il pourrait savoir quelque chose de la vie.

- Va chier, Riise, laisse-moi cuver tranquille. L'alcool n'est pas la seule raison pour laquelle j'ai fini au poste. J'ai collé un poing dans la tronche d'un type aussi, c'est pour ça que le gérant du bar a appelé les condés. Je suis peut-être ivre, mais je peux encore réfléchir posément. T'as pas plutôt une clope ou un coup à boire plutôt?

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Totalement comme prévu, Caj l'envoya balader le moins gracieusement du monde, et Aage retint un soupir tout en déposant les mains sur ses hanches ; il y avait dans l'air une vague odeur de sky qui aurait pu lui filer la nausée.

« Hé, tu te trompes d'ennemi, je suis pas là pour te faire chier. »

C'était vrai, mais Aage avait bien du mal à se rendre compte que son attitude pleine de sollicitude pouvait être parfaitement chiante, en fait. Il plongea la main dans la poche de sa polaire floquée aux couleurs de la police criminelle.

« Ouais j'ai une cigarette. J'crois que t'as assez bu, tu penses pas ? »

Il s'avança dans la pièce, surveillé de loin par son collègue qui finit par se replonger dans le bouquin qu'il lisait, si Aage se trompait pas c'était les aventures vaguement pornos d'une espèce d'agent secret. Il tendit une clope à Caj, alluma la sienne et lança le briquet à son comparse.

« Pourquoi t'as frappé ce gars-là ? Il t'a insulté, un truc du genre ? »

Il souffla sa fumée.

Je me suis lancé dans le bénévolat, mais j'ai arrêté parce que ça rapportait pas

Si Riise pensait que j'allais lui obéir comme un gentil chienchien parce qu'il porte une plaque, il se fourrait le doigt dans l'oeil jusqu'au coude... Tout ce que je voulais, c'était cuver et dormir au chaud ce soir. On entendait d'ici la tempête hurler à l'extérieur. Je voulais pas finir comme Ugo la Main Froide. Ugo, c'était un sans-abri qui avait connu 18 hivers dans les rues... 18! Peut-être même que Riise était pas encore né quand Ugo avait fini dehors. On l'appelait Ugo la Main Froide parce qu'à cause du froid, l'hopital avait du lui couper les doigts, les engelures avaient anéanti ses chances de récupérer ses doigts. Je soupire, j'ai pas envie de batailler ce soir. Mais le flic reste là.

« Hé, tu te trompes d'ennemi, je suis pas là pour te faire chier. » Que tu dis, mon gars. Il était déjà en train de me faire chier à rester planté là comme un pingouin devant un maquereau bien juteux. « Ouais j'ai une cigarette. J'crois que t'as assez bu, tu penses pas ? » On ne boit jamais assez! Ca désinfecte et ça fait tenir debout (enfin, pas debout debout... mais debout couché... enfin, vous voyez ce que je veux dire...). Mais la cigarette a chanté son chant de sirène et je me redresse sur le banc de pierre. J'attrape la clope qu'il me tend et la coince entre les lèvres attendant le briquet. Ce dernier me saute dans la main et sans perdre une seconde, j'allume le baton de nicotine. « Pourquoi t'as frappé ce gars-là ? Il t'a insulté, un truc du genre ? »

Voilà que je commence à regretter presque le samu social... Je soupire, expulsant une longue bouffée d'air pollué de tabac et d'autres merdes qu'ils foutent dans les cigarettes. J'ai pas de marque particulière, dans la rue, on apprend à aimer toutes les clopes qu'on nous offre. Je m'appuie sur le mur derrière moi, un pied sur la banquette de béton, l'autre qui tombe, presque par terre. Au Samu, ils vous posent des questions de l'ordre du "où t'habite", "est-ce que quelqu'un peut t'héberger"... tout ça tout ça... Au poste de police, c'est plutôt du genre "pourquoi...". Et cette question j'ai pas envie d'y répondre. De toutes manières, j'ai envie de répondre à aucune question.

- Si je te le dis, tu me fous la paix? Un sourire narquois traverse mes lèvres. Parce qu'il m'a demandé pourquoi ils embauchaient des abrutis dans la police... J'ai dit que c'était pas des abrutis mais des têtes de noeuds... On était pas d'accord sur le terme, ça a terminé en pugilat... Je tire sur la taf et souffle la fumée, la cigarette n'ayant jamais quitté mes lèvres. Tu me laches maintenant? Je préfère ton copain là-bas. J'indique d'un mouvement de tête l'andouille qui roupille sur son magazine cochon. Il pose moins de question, lui.

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» comme un trou béant dans le coeur - with eira
» (sindre & marte) on joue, mais là j'ai trop joué.