Crying is the only way your eyes speak.

Il avait 7 ans quand Agathe est née. Si beaucoup d'enfants sont jaloux d'avoir des petits frères ou des petites sœurs, lui, il a décrété, dès le départ qu'il la protègerait. Il avait 12 ans quand Agathe a commencé la danse classique. Pour Caj, c'était comme un paradis sur Terre. Il était fier de sa petite sœur qui dansait et il se disait que c'était pour lui, seulement pour lui. Elle n'avait beau avoir que 5 ans, il avait l'impression de voir une danseuse étoile. Quand elle eut à son tour 12 ans, il venait de terminer ses études, avec deux ans d'avance, il était diplômé et embauché dans la foulée, mais pour rien au monde il n'aurait abandonné sa sœur, alors quand elle se mit à faire des compétitions à l'extérieur de la ville, ce fut lui qui l'accompagnait. Toujours. Quitte à prendre des congés sans soldes, des arrêts maladies, des RTT, tout ce qui pouvait lui donner quelques jours de libre pour conduire Agathe, cela lui convenait. Il ne manquait pas une seule de ses performances et même ses répétitions. Il l'aidait dans ses entrainements, il lui avait même créé des chaussons de danse spéciaux où la pointe était plus facile à supporter, où la courbure était plus extrême. Il avait mis quelques mois pour y arriver, mais quand elle proposa de breveter les chaussons, il refusa. Il ne faisait cela que pour elle, il s'en fichait de gagner de l'argent, c'était uniquement pour sa sœur, pour sa passion, pour son sourire.


Elle avait 22 ans quand elle est partie. Il avait 29 ans quand sa vie fut ruinée. 22 ans, c'est le nombre d'années qui séparent les deux dates sur sa pierre tombale. 22 ans, c'est pas un âge pour mourir. 29 ans, c'est beaucoup trop tôt pour supporter la mort d'un être si cher. On est pas préparé, on est pas... prêt. Il ne l'était pas. Il a tout rejeté, du jour au lendemain. Il avait pourtant une bonne situation, une famille aimante, un travail, des collègues plutôt sympathique. Du jour au lendemain, il est parti, il a tout quitté, sans rien dire. Pas de lettre de démission, pas de SMS. Il a laissé sa vie entière derrière lui et pour tout compagnon, il emporta un sac à dos, un peu d'argent liquide et son téléphone. Le monde venait de s'écrouler, il était mort à l'intérieur, il avait l'impression que son propre cœur avait été enterré auprès de sa sœur. Il a mis un mois à trouver sa nouvelle place, dans la rue, dans un squat, au milieu d'autres gens qui ont tout perdu eux aussi. La loi de la rue, c'est la loi du plus fort. Il n'y a pas de chance ou de malchance, il n'y a que les poings. Il n'y a que les plus hargneux, les plus téméraires qui survivent. Il veut faire parti de ces gens-là, alors chaque jour, il se bat, chaque jour, il se prend des coups, mais il s'en fout. Ah, si seulement il y avait une petite étincelle qui lui redonnerait foi en la nature humaine, qui le ramènerait vers une vie douce...