marte + let it snow.

La disparition de son frère a complètement bouleversé la vie de Marte en même temps que celle de toute sa famille. Anéantie, elle se reconstruit petit à petit, mais ne fera jamais le deuil de ce grand frère qu'elle aimait au delà de l'imaginable. Pas sans lui, elle ne peut plus avancer, aspirer à ce rêve olympique elle aussi, c'est terminé tout ça. Son cœur a été vidé, l'énergie pompée, alors elle essaye de prendre les petits bonheurs là où ils sont, retrouvant un sourire qu'elle avait perdu l'espace de quelques secondes, l'espace de quelques mots, ou de quelques souvenirs qui réchauffe ce cœur gelé par le froid.

1 "Svante, arrête d'embêter ta soeur !" Le petit garçon regarda sa mère surpris, puis lança un regard noir à sa cadette. "Mais c'est elle qui m'a tiré les cheveux..." La petite tourna la tête et s'éloigna de la scène, consciente que son jeune âge et sa bouille avaient l'avantage sur son frère. Un an d'écart, comme des jumeaux pourtant, depuis tout petit. Ces deux-là étaient toujours fourrés ensemble, et le temps n'y a rien fait. Deux inséparables.
2 Cette sensation... Le vent dans les cheveux, le froid qui caresse sa peau, ce grincement sur son passage, Marte se sent bien. Il est neuf heures du matin, et déjà, du haut des six ans, la petite brune est sur les pistes, les skis au pied, une enfant heureuse. Soudain, son frère déboule à toute vitesse, envoyant tout un tas de poudreuse sur sa soeur avant de s'asseoir deux mètres plus bas. La vitesse, le danger... Svante en est déjà piqué. "DOUCEMENT ! JE VAIS TE L'ENLEVER TA PLANCHE SI TU N'ARRÊTES PAS TES BÊTISES !" Leur père haussa la voix, c'était rare, mais ça voulait dire beaucoup. "Moi aussi j'veux faire du snowboard maman." Chuchota-t-elle à l'oreille de sa mère. "T'es trop petite ma chérie..." Marte baissa la tête et posa les yeux sur la planche de son frère. Un jour, elle en aurait une, elle aussi.
3 "Allez Marte, plus viteeeee !" La petite brune, son casque sur la tête, suivait son frère de loin, essayant de ne pas tomber de sa planche et fière de rivaliser sur la piste avec son aîné. "J'suis pas tombée, tu me dois 50 couronnes !" lui rappela-t-elle, le menton en l'air telle une princesse. "Dans tes rêves" balança-t-il en la poussant. La petite bascula en arrière et se retrouva les fesses dans la poudreuse. "Qui doit combien à qui hein ?" Il lui renvoyait la balle, c'était l'histoire de leur vie.
4 Des regards qui arpentaient la salle de départ de gauche à droite, des haussements d'épaules, personne n'avait vu les trois acolytes, comme d'habitude. L'entraineur balança quelques noms d'oiseaux avant de partir, fâché, vers le dortoir. "Svante, Marte, Orjan, qu'est-ce-que vous foutez bordel, on vous attend depuis 10 minutes !" L'explication à leur retard ? Marte avait ses règles, et plus aucun tampon car les garçons s'en était servi de boule quies la nuit. "Vous vous foutez de moi tous les deux ? Et comment je fais maintenant ?" Les deux garçons, ainsi que l'entraineur, restèrent silencieux et presque nauséeux en imaginant ce que ça pouvait donner. "Bien Marte, prends ton temps." avait-il fini par lui lancer, tandis qu'il faisait signe aux garçons de filer sur la ligne de départ illico presto.
5 Elle avait 18 ans Marte, quand on l'a envoyée à Sotchi pour représenter la Norvège aux Jeux Olympiques. Un rêve devenu réalité, une émotion intense quand elle suivit son frère le long de la piste pour la présentation officielle des équipes, encore plus grande encore lorsqu'elle eut l'opportunité de croiser des champions qu'elle admirait depuis petite. Orjan lui prit la main, il la sentit s'envoler au beau milieu de ce rêve, des étoiles venant habiter ses yeux si malicieux. "On y est !" chuchota-t-elle, émerveillée. Ils y étaient oui, tous les trois, comme prévu depuis tout petit, comme ça devait être écrit. Svante discutait déjà avec d'autres skieurs de la sélection, tandis que ses deux compères restaient en retrait, plus spectateurs qu'acteurs, eux, les petits nouveaux de cette équipe olympique. Orjan, c'était l'épaule sur laquelle elle s'appuyait, tout le temps, quand Svante était occupé à répondre aux sollicitations extérieures. Il était le favori au titre, numéro un, c'était une star de son sport, tandis que Marte et Orjan participaient à leur première compétition olympique.
6 LE MOMENT. La finale de slopestyle, avec Svante au départ. En bas de la piste, Marte et Orjan regardaient la compétition avec des yeux d'enfants, la boule au ventre. Marte jouerait sa finale le lendemain, tandis qu'Orjan avait été éliminé la veille. Les sportifs s'élançaient les uns après les autres, l'américain réalisa de très belles figures et ramassa un max de points. Puis ce fut le tour de Svante, le dernier à s'élancer. Dans la foule, un tas de norvégiens avaient fait le déplacement en Russie, et ça s'entendait. Le coeur de Marte battait la chamade, tandis que ses poumons tout entier se déchiraient lorsqu'elle hurlait pour son frère. Lui ou elle, c'était pareil, il était tout. Les acrobaties de Svante furent réalisées à la perfection, et alors qu'ils attendaient les notes finales, la tension gagnait l'assemblée. PREMIER ! Il était champion olympique !!! Folle de joie, Marte ne put retenir son bonheur et s'empara des joues rosies par le froid d'Orjan pour l'embrasser fougueusement avant d'aller sauter dans les bras de son frère. Le plus beau jour de sa vie.
7 Elle le vit venir à dix mille, avec son air perdu. "Marte, j'peux te parler ?" La fête avait été longue après la médaille d'or, mais pas pour Marte, elle avait compétition le lendemain. Ils ne s'étaent pas recroisé, du point, pas au point de discuter de ce baiser. Quelques jours étaient passés désormais, la médaille de bronze de Marte ne quittant pas son chevet. Orjan restait appuyé contre la porte d'entrée, pas très certain de ce qu'il était en train de faire. "Parler de quoi ?" Répondit-elle, jouant l'ignorante. "Et bien... Du bisou, tu sais, après la descente de Svante...". Elle resta silencieuse un moment. Sa réponse allait être déterminante, elle le savait bien. Une partie d'elle voulait recommencer, là, tout de suite, mais l'autre lui disait de ne pas s'engager, pas maintenant, pas comme ça. Incapable de se décider, elle leva les yeux vers lui, et elle n'eut le temps de rien dire qu'il était déjà là, ses lèvres sur les siennes. Marte et Orjan, ça avait toujours été des regards qui en disaient long mais qui "ne voulaient rien dire" à les écouter, des crises pour tout et rien, beaucoup d'amour dans un minimum de mots. C'est comme ça qu'ils ont fini par devenir ce qui les effrayait tant : un couple.
8 BAM. La porte s'ouvrit brusquement, laissant apparaitre la silhouette de Svante, sa combinaison sur le dos, de la neige encore glacée sur ses épaules et sur son bonnet. "Sortez du lit les amoureux, dans une semaine, ce sont les X-games, et je compte bien sur nous trois pour ramener les médailles bande de fainéants !" Marte ramena la couette sur ses épaules, se collant au corps tout chaud d'Orjan. "Dégage Svante" gromela-t-elle, la voix encore rauque du réveil. Il avait raison ceci dit, la plus grande compétition de l'année avait lieu dans quelques jours, et ils devaient se préparer. Elle finit par se résoudre à sortir du lit, déposant un bisou encourageant sur la joue de son amoureux endormi. Les jours passèrent, et la compétition battait désormais son plein. C'était les qualifications de slopestyle masculin, Svante était champion olympique en titre, rien ne pouvait l'arrêter, encore moins alors que ça se jouait à domicile, en Norvège. Il s'élança alors, passa le premier tremplin d'une main de maître... La foule était en délire. Une seconde d'inattention, une seconde suffisait à tout faire basculer. Personne ne saurait jamais, mais rien ne se passa comme prévu. La chute fit froid dans le dos, la foule retint son souffle tandis que Marte hurlait d'en bas de la piste quand elle aperçut son frère, inerte, sur la piste. "Il est mort sur le coup", lui avaient dit les médecins quelques heures plus tard à l'hôpital. "Il n'a pas souffert Marte...". Mais il n'était plus là. Et elle non plus, elle ne pouvait plus respirer Marte, la terre s'écroulait sous ses pieds, et ce corps froid ne pouvait pas être réel, Svante était la vie à lui tout seul, le sourire, le vent de folie qui régissait la sienne de vie. S'il n'était plus, elle serait à jamais son fantôme parce qu'il était son souffle. Les hurlements d'une peine indescriptible glacèrent tous les médecins, tous les aide-soignants de l'hôpital, elle n'était plus qu'un cri.
9 Les mois passèrent, Marte n'avait plus remis les pieds en équipe norvégienne, plus un entrainement, plus un signe de vie aux entraineurs, ni même à Orjan. Elle avait tiré un trait sur toute sa vie, tous ces souvenirs qui lui ramenait le destin brisé de Svante, qui lui laissait deviner ce sourire qu'on avait volé... Elle ne s'en remettait pas, elle ne pouvait pas. Ses parents avaient souffert aussi, pleurer pendant des jours, et Marte savait bien que sa mère continuait à le pleurer chaque soir, parce qu'elle avait vu les albums photos sortis sur le buffet dans le salon, et la boîte de mouchoirs à côté. Il n'était plus là, et elle non plus. Plus aucun des Bjørgen ne serait plus jamais le même, une vie fauchée en valait quatre. Alors elle avait choisi de prendre un poste d'infirmière, elle qui avait fini ses études en même temps que le sport. Une vie rangée, sans risque, sans fioritures. Une routine : se lever, aller de patient en patient, manger, continuer ses rendez-vous, manger, dormir. C'était tout ce dont elle était capable. De temps en temps, elle retrouvait ses copines le temps d'une soirée, et Marte qui ne buvait autrefois jamais se retrouvait ivre morte à en oublier cette douleur qui la paralysait. 
10 Marte, elle suivait le planning qu'on lui donnait, à la lettre. Quand elle se pointa à l'adresse indiquée, elle ne réalisa pas le nom qui figurait sur le dossier. C'était un nouveau client, et à Marte, on lui refilait souvent les arrivants, parce que c'était la seule à avoir des plages horaires de libres. Elle se gara en double file, elle ne restait jamais bien longtemps chez les gens, simplement le temps d'effectuer les soins demandés. Pourtant, quand elle frappa à la porte et qu'il se présenta, le temps se figea. "Je.. tu... qu'est-ce que... ? Non." Les larmes débordaient déjà de ses yeux amandes, elle n'était pas prête à ça, pas aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Alors elle s'enfuit, remonta dans sa voiture et démarra en trombe pour ne plus s'arrêter de rouler, encore et encore jusqu'à ce qu'elle se stoppe en dehors de la ville et se mette à hurler de tout son être.